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Vendée Militaire et Grand Ouest
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16 octobre 2014

Robespierre

Maximilien de Robespierre

Maximilien de Robespierre

220px-Robespierre[1]


École française du XVIIIe siècle, Portrait de Maximilien Robespierre, musée Carnavalet.
Fonctions
Membre du Comité de salut public
27 juillet 1793 – 28 juillet 1794
Groupe politique Montagne
Président de la Convention nationale
4 juin 1794 – 19 juin 1794
22 août 1793 – 5 septembre 1793
Groupe politique Montagne
Député de la Seine
5 septembre 1792 – 28 juillet 1794
Législature Convention nationale
Groupe politique Montagne
Député de l'Artois
26 avril 1789 – 30 septembre 1791
Législature États généraux
Assemblée nationale constituante
Groupe politique Patriote
Biographie
Nom de naissance Maximilien François Marie Isidore Joseph de Robespierre
Surnom « L'Incorruptible »
Date de naissance 6 mai 1758
Lieu de naissance Arras
Date de décès 28 juillet 1794 (à 36 ans)
Lieu de décès Paris
Nationalité Français
Profession Avocat
Religion Déiste

Signature
 

Maximilien Marie Isidore de Robespierre[1], ou Maximilien Robespierre[2], est un avocat et un homme politique français, né le 6 mai 1758 à Arras et mort guillotiné le 28 juillet 1794 à Paris, place de la Révolution.

Aîné d'une fratrie de cinq enfants, il perd sa mère à l'âge de six ans. Puis son père abandonne ses enfants, et il est pris en charge par son grand-père maternel. Après d'excellentes études au collège d'Arras et au collège Louis-le-Grand de Paris, licencié en droit, il devient avocat et s'inscrit en 1781 au Conseil provincial d'Artois, occupant même un temps la charge de juge au tribunal épiscopal.

Élu député du Tiers état aux États généraux de 1789, il devient bientôt l'une des principales figures des « démocrates » à l'Assemblée constituante, défendant l'abolition de l'esclavage et de la peine de mort, le droit de vote des gens de couleur, des juifs ou des comédiens, ainsi que le suffrage universel et l'égalité des droits, contre le marc d'argent. Il décide aussi de réglementer sévèrement la Bourse. Son intransigeance lui vaut bientôt d'être surnommé « l'Incorruptible ». Membre du club des Jacobins dès ses origines, il en est le plus illustre membre et l'une des figures de proue. Après la scission des Feuillants, il contribue à sa réorganisation et lui permet grandement de conserver le soutien de la plupart des sociétés affiliées de province.

Opposé à la guerre contre l'Autriche en 1792, il s'oppose à La Fayette et soutient la chute de la royauté. Membre de la commune insurrectionnelle de Paris, il est élu à la Convention nationale, où il siège sur les bancs de la Montagne et s'oppose à la Gironde. Après les journées du 31 mai et du 2 juin 1793, il entre le 27 juillet 1793 au Comité de salut public, où il participe à l'instauration d'un gouvernement révolutionnaire et de la Terreur, dans un contexte de guerre extérieure contre les monarchies coalisées et de guerre civile (insurrections fédéralistes, guerre de Vendée…).

À la suite de la victoire des comités contre les factions au printemps 1794, il contribue à faire cesser la politique de déchristianisation et fait voter, en qualité de rapporteur, le décret du 18 floréal an II, par lequel « le peuple français reconnaît l’existence de l’être suprême, et l’immortalité de l’âme », et la loi de Prairial, dite de « Grande Terreur ».

Attaqué et isolé au sein de la Convention par d'anciens dantonistes et des envoyés en mission rappelés, mais aussi au sein du gouvernement révolutionnaire par le Comité de sûreté générale et des collègues du Comité de salut public, il prend la Convention à témoin de ces dissensions le 8 thermidor an II, mais ne parvient pas à imposer ses vues. Le lendemain, empêché de parler par ses ennemis, alliés pour la circonstance aux modérés de la Plaine, il est arrêté avec son frère Augustin et ses amis Couthon, Saint-Just et Le Bas. La Commune entre alors en insurrection et le fait libérer, mais il perd du temps, et la Convention le met hors-la-loi.

Dans la nuit, une colonne armée s'empare de l'hôtel de ville, où il se trouve avec ses partisans, et il est blessé à la mâchoire dans des circonstances incertaines. Après vérification de son identité devant le Tribunal révolutionnaire, il est guillotiné dans l'après-midi du 10 thermidor avec 21 de ses partisans. Sa mort entraîne, dans les mois qui suivent, une « réaction thermidorienne », qui voit le démantèlement du gouvernement révolutionnaire et de la Terreur.

L'une des principales figures de la Révolution française, il demeure aussi l'un des personnages les plus controversés de cette période.

Biographie

Maximilien de Robespierre était le fils ainé de Maximilien-Barthélémy-François de Robespierre (né en 1732), avocat au Conseil supérieur d'Artois, et de Jacqueline-Marguerite Carraut (née en 1735), fille d'un brasseur d'Arras. Après leur rencontre en 1757, les deux jeunes gens s'étaient mariés le 2 janvier 1758. Né à Arras le 6 mai suivant, Robespierre fut donc conçu hors mariage[3]. Par son père, il descendait d'une famille de gens de robe artésiens[4] : son grand-père Maximilien (1694-1762) était également avocat au Conseil supérieur d'Artois, son bisaïeul Martin (1664-1720) procureur à Carvin, son trisaïeul Robert (1627-1707) notaire à Carvin et bailli d'Oignies. Le couple eut encore quatre autres enfants : Charlotte en 1760, Henriette-Eulalie-Françoise en 1761 et Augustin en 1763 ; le puîné vit le jour le 4 juillet 1764. Mais la mère mourut huit jours plus tard, à vingt-neuf ans, suivie de près par le nouveau-né. Robespierre avait six ans. À en croire les Mémoires de Charlotte, François de Robespierre aurait abandonné ses enfants peu après la mort de son épouse. En revanche, selon Gérard Walter, on trouve des traces de lui à Arras jusqu'en mars 1766, puis de nouveau en octobre 1768. Ensuite, deux lettres de François de Robespierre, envoyées de Mannheim, confirment qu'il vivait en Allemagne en juin 1770 et en octobre 1771. L'année suivante, d'après le registre d'audiences du Conseil d'Artois, il était de retour à Arras, où il plaida quinze affaires du 13 février au 22 mai. Enfin, en mars 1778, à la mort de son beau-père, un jugement de l'Échevinage d'Arras indique qu'étant absent, il s'était fait représenter. Par la suite, si l'on prête foi à ce document, on perd sa trace[5]. L'abbé Proyart (qui semble avoir connu personnellement le père de l'Incorruptible) prétend qu'après avoir habité quelque temps à Cologne, il aurait annoncé « le dessein de se rendre à Londres, et de là aux Îles, où il serait possible qu'il vécût encore » en 1795, mais cette hypothèse, discutée par Albert Mathiez[6], est rejetée par Auguste Paris et Gérard Walter[7],[8]. Un acte d'inhumation le fait mourir à Munich le 6 novembre 1777[9], version reprise par Henri Guillemin[10] ou Catherine Fouquet[11].

Après la mort de leur mère, les deux filles furent recueillies par leurs tantes paternelles, les garçons par leur grand-père maternel, Jacques Carraut (1701-1778). Maximilien entra, en 1765, au collège d'Arras (ancienne institution jésuite qui n'appartenait pas encore aux Oratoriens, étant gérée par un comité local nommé par l'évêque). Charlotte, dans ses Mémoires, affirme que l'attitude de Maximilien avait connu un grand changement, à l'époque et que, conscient d'être en quelque sorte le chef de la famille, il avait pris un tour plus grave et sérieux. En 1769, grâce à l'intervention du chanoine Aymé auprès de l’évêque d’Arras, Louis-François-Marc-Hilaire de Conzié, il obtint une bourse de 450 livres annuelles de l'abbaye de Saint-Vaast et entra au collège Louis-le-Grand, à Paris[12],[13].

Malgré son extrême dénuement, il fit de brillantes études au collège Louis-le-Grand (1769-1781), où il eut pour condisciples Camille Desmoulins et Louis-Marie Stanislas Fréron. Son nom fut plusieurs fois proclamé aux distributions de prix du Concours général : deuxième prix de thème latin et sixième accessit de version latine en 1772, quatrième accessit de vers latins et de version latine en 1774, deux seconds prix en latin et le quatrième accessit de version grecque en 1775, le premier prix de rhétorique en 1776, etc.[14]. D'après l'abbé Proyart[15], préfet du collège, c'était un élève studieux, se consacrant uniquement au travail, solitaire et rêveur, peu expansif. Très bien vu par ses maîtres, il fut choisi, en 1775, pour prononcer le compliment en vers du nouveau roi Louis XVI[16]. Il rencontra Jean-Jacques Rousseau à la fin de sa vie, entre 1775 et 1778 - ou l'aperçut, selon Gérard Walter[17]. Selon les Mémoires posthumes de Brissot, témoignage rejeté par Gérard Walter comme invraisemblable pour des raisons chronologiques, il aurait été un temps clerc chez le procureur Nolleau fils, où le futur girondin l'aurait croisé[18]. Reçu bachelier en droit de la faculté de Paris le 31 juillet 1780, il obtint son diplôme de licence le 15 mai 1781 et s'inscrivit sur le registre des avocats du Parlement de Paris deux semaines après. Le 19 juillet, sur rapport du principal du collège, une récompense de 600 livres lui fut octroyée. Par ailleurs, sa bourse à Louis-le-Grand passa à son frère cadet, Augustin[19].

De retour à Arras, la situation de sa famille avait changé : sa grand-mère était morte en 1775, son grand-père maternel en 1778, sa sœur Henriette en 1780. Quant à ses deux tantes paternelles, elles s'étaient mariées l'une et l'autre à 41 ans, Eulalie le 2 janvier 1776 avec un ancien notaire devenu négociant, Henriette le 6 février 1777 avec le médecin Gabriel-François Du Rut. Jacques Carraut laissait 4 000 livres à ses petits-enfants. Installé dans une petite maison de la rue Saumon avec sa sœur Charlotte, Maximilien s'inscrivit le 8 novembre 1781 au Conseil provincial d'Artois, comme son père et son grand-père paternel, et commença à plaider le 16 janvier 1782[20]. Le 9 mars 1782, il fut nommé par l'évêque, Monseigneur de Conzié, juge au Tribunal épiscopal[21]. Après un passage chez les Du Rut, fin 1782, il s'installa avec sa sœur rue des Jésuites, fin 1783 ; c'est là qu'il vécut jusqu'à son départ pour Paris. Dans ses fonctions, il se distingua, notamment lors de l'affaire du paratonnerre de M. de Vissery, où il fit un plaidoyer devenu célèbre, en mai 1783, et de l'affaire Deteuf, qui l'opposa aux bénédictins d'Anchin[22].

Le 15 novembre 1783, Robespierre fut accueilli dans l'Académie royale des Belles-Lettres d'Arras, patronné par son collègue Maître Antoine-Joseph Buissart, avec lequel il avait collaboré dans l'affaire du paratonnerre, et M. Dubois de Fosseux, qui fut son ami, ainsi que celui de Babeuf. Il participa à plusieurs concours académiques. En 1784, un de ses mémoires, envoyé à l'Académie de Metz, lui valut une médaille, ainsi qu'un prix de 400 livres. Publié, ce mémoire fit l'objet d'un article de Lacretelle dans le Mercure de France. De même, il rédigea un Éloge de Gresset pour le concours de l'Académie d'Amiens de 1785, qui ne fut pas primé, mais qu'il publia lui aussi. Le 4 février 1786, l'Académie royale des Belles-Lettres d'Arras l'élut à l'unanimité comme directeur. Dans ses fonctions, affirmant partager le point de vue des cartésiens sur l'égalité des sexes et soucieux de favoriser la mixité au sein des sociétés savantes, il favorisa l'entrée de deux femmes de lettres, Marie Le Masson Le Golft et Louise de Kéralio en février 1787[23]. De même, en décembre 1786, il fut nommé parmi les trois commissaires chargés de l'examen des mémoires envoyés au concours. En 1787, les Rosati d'Arras, petit cénacle poétique fondé le 12 juin 1778 par un groupe d'officiers et d'avocats, l'accueillirent dans leurs rangs ; Louis-Joseph Le Gay, son collègue au barreau et à l'Académie, prononça le discours de réception. En tant que titulaire de cette société, il chanta des couplets et composa des vers « anacréontiques », notamment un Éloge de la Rose écrit en réponse au discours de réception d'un nouveau membre[24].

Maximilien de Robespierre resta célibataire. Toutefois, à Arras, il cultiva les relations féminines : il eut une ébauche d'idylle avec Mlle Dehay, amie de sa sœur, une jeune Anglaise inconnue et une certaine Mlle Henriette, correspondit avec une « dame très haut placée », peut-être Mme Necker, selon Gérard Walter, fut reçu chez Mme Marchand, future directrice du Journal du Pas-de-Calais, etc. D'après sa sœur Charlotte, une Mlle Anaïs Deshorties, belle-fille de sa tante Eulalie, aima Robespierre et fut aimée de lui ; en 1789, il la courtisait depuis deux ou trois ans. Elle se maria avec un autre, l'avocat Leducq, tandis qu'il était à Paris[25]. Selon Pierre Villiers, Robespierre aurait eu en 1790 une liaison avec une jeune femme de condition modeste « d'environ vingt-six ans[26],[27] ». Enfin, il a été dit qu'il était fiancé avec la fille de son logeur, Éléonore Duplay[28].

Imprégné des idées idéalistes des philosophes du XVIIIe siècle, notamment de Rousseau, il participa à la vie politique dans sa province à la veille de la Révolution, faisant paraître en janvier 1789 un mémoire intitulé À la Nation artésienne, sur la nécessité de réformer les États d'Artois, réédité dans une version augmentée en mars-avril. Puis, appuyé par sa famille et ses amis, il se porta candidat à la représentation du Tiers état aux États généraux ; la corporation des savetiers mineurs, la plus pauvre mais la plus nombreuse, lui confia la rédaction de leur cahier de doléances le 25 mars 1789[29].

Successivement choisi pour représenter l'assemblée des habitants non corporés de la ville d'Arras (23-25 mars) puis celle des électeurs du Tiers état de la ville (26-29 mars), il fut élu, le 26 avril 1789, par l'assemblée électorale d'Artois, parmi les huit députés du Tiers. Après la réunion des députés des trois ordres de la province le 1er mai, il se rendit à Versailles[30], où il s'installa avec trois collègues, cultivateurs, à l'hôtellerie du Renard, rue Sainte-Élisabeth. Parmi ses premiers contacts, on compte Necker, qui le reçut à dîner chez lui en mai. Toutefois, le ministre, auquel il avait adressé de nombreuses louanges dans son mémoire, le déçut. Au contraire, il noua des relations avec Mirabeau, dont il fut proche quelque temps. Il se rapprocha également de Barère, qui publiait un journal très lu dans les milieux politiques. Par ailleurs, des liens amicaux le liaient au comte Charles de Lameth[31].

À l'Assemblée constituante, Robespierre avança avec assurance et sérénité, poursuivant, selon Gérard Walter, « la réalisation d'un plan mûrement réfléchi et soigneusement étudié ». Sa première intervention à la tribune parlementaire date du 18 mai 1789 ; il prit la parole environ soixante fois de mai à décembre 1789, une centaine de fois en 1790 et autant de janvier à la fin de septembre 1791. Son discours contre la loi martiale du 21 octobre 1789 en fit l'un des principaux animateurs de la Révolution et la cible d'attaques de plus en plus acharnées de ses adversaires, particulièrement de son ancien professeur, l'abbé Royou, et l'équipe de journalistes des Actes des Apôtres. Il fut l’un des rares défenseurs du suffrage universel et de l'égalité des droits, s'opposant au marc d'argent, le 25 janvier 1790[32] et défendant le droit de vote des comédiens et des juifs. Au second semestre, ses interventions à la tribune devinrent de plus en plus fréquentes : en une année, il avait vaincu l'indifférence et le scepticisme de ses collègues[33]. Il fut élu troisième secrétaire suppléant de l'Assemblée, par 111 voix, le 4 mars 1790, puis l'un des secrétaires, lors de la présidence de Louis-Michel Lepeletier de Saint-Fargeau, du 21 juin au 4 juillet[34],[35].

De novembre 1790 à septembre 1791, il joua un rôle de premier plan dans les débats sur l'organisation des gardes nationales[36].

Il participa à l’élaboration de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen ainsi qu’à la première constitution française en 1791. Particulièrement, le 16 mai 1791, il fit voter le principe de la non-rééligibilité des députés de l'Assemblée constituante dans l'Assemblée suivante, qui visait principalement le triumvirat du parti patriote, Duport, Barnave et Lameth[37].

Toujours contre le triumvirat et contre Moreau de Saint-Méry (ancien acteur de la prise de la Bastille, devenu en 1790 député de la Martinique), il défendit l'abolition de l'esclavage et le droit de vote des gens de couleur, refusant, même seul, les concessions proposées le 13 mai par Barère sur la reconnaissance constitutionnelle de l'esclavage et le 15 par Reubell sur le refus du droit de vote aux affranchis ; d'où sa célèbre exclamation, déformée avec le temps, prononcée le 13 : « Périssent les colonies s'il doit vous en coûter votre bonheur, votre gloire, votre liberté »[37],[38].

Robespierre défendit aussi les Sociétés populaires. Le 30 mai 1791, suite à un projet visant à condamner à mort tout « chef de parti déclaré rebelle par un décret du corps législatif », il prononça un discours pour l’abolition de la peine de mort, resté célèbre. Choisi le 3 juin suivant par les députés du club des Jacobins comme leur candidat pour la présidence de l'Assemblée nationale[39] pour la période du 6 au 21 juin, il se vit opposer un député obscur, Dauchy, soutenu par la majorité modérée. S'il obtint un nombre égal de voix au premier tour, il fut légèrement distancé au scrutin de ballottage[37].

Dans les premiers mois de l'Assemblée constituante, Robespierre avait été l'un des premiers, avec Mirabeau, Pétion, l'abbé Grégoire, les frères Alexandre et Charles de Lameth, à adhérer au Club breton, qui se réunissait au café Amaury, à Versailles. Lors de l'installation de l'Assemblée à Paris, en octobre 1789, il rejoignit la Société des Amis de la Constitution, plus connue sous le nom de club des Jacobins, située près des Tuileries, dans le couvent des Jacobins, rue Saint-Honoré. Lui-même était installé dans un meublé, au troisième étage, du no 9 de la rue de Saintonge, dans un quartier éloigné des Tuileries ; en 1790, un certain Pierre Villiers, officier de dragons et auteur dramatique, lui servit durant sept mois de secrétaire[41]. De plus en plus éloigné de Mirabeau, qui avait dit de lui en 1789 : « Il ira loin, il croit tout ce qu’il dit », il rompit avec lui lors d'une séance particulièrement vive aux Jacobins, le 6 décembre 1790[42]. Il devint bientôt le principal animateur des Jacobins[43], nouant de précieuses relations avec les groupements patriotes de province[44],[45]. Élu président des Jacobins le 31 mars 1790, il accueillit les délégués de la municipalité de Bastia, emmenés par Pascal Paoli, le 22 avril suivant[46].

Le 13 mai 1791 au soir, président du club, Robespierre laissa, à l'occasion des débats sur l'égalité des blancs et métis dans les colonies, la parole au mulâtre Julien Raymond en même temps qu'il la refusa à son adversaire, Charles de Lameth[47]. Lors de la fuite du roi à Varennes, le 20 juin 1791, Robespierre était chez les Amis de la Constitution de Versailles. Élu par l'assemblée électorale accusateur public de Paris le 10 juin précédent par 220 voix sur 372 votants[48], il venait de démissionner de sa charge de juge au tribunal de Versailles, qu'il occupait, théoriquement, depuis le 5 octobre 1790 et devait leur expliquer ses raisons. Apprenant la nouvelle le lendemain, il prononça un discours au club des Jacobins dans lequel il accusait l'Assemblée de trahir les intérêts de la nation. Quelques semaines après, le 14 juillet, dans son discours sur la fuite du roi, prononcé devant l'Assemblée, il ne réclama pas le jugement de Louis XVI, mais se prononça en faveur de sa déchéance[49].

Le lendemain, le club des Cordeliers lança l'idée d'une pétition réclamant la République, qui recueillit 6 000 signatures et fut déposée sur l'autel de la patrie, haut lieu de la Fête de la Fédération de 1790, sur le Champ-de-Mars. La loi martiale proclamée, Jean Sylvain Bailly, Maire de Paris, fit mitrailler la foule. Tandis que la répression s'abattait sur les Sociétés populaires, une campagne accusa Robespierre d'avoir été l'instigateur de la manifestation. La veille de la journée, la quasi-totalité des députés – hormis Robespierre, Pétion, Buzot, Roederer, Anthoine et Coroller – et les trois quarts des sociétaires parisiens (1 800 sur 2 400) avaient quitté les Jacobins pour fonder le club des Feuillants ; la grande majorité des sociétés affiliées de province restèrent fidèles au club de la rue Saint-Honoré[50],[51]. C'est Robespierre lui-même qui rédigea l'adresse expédiée le 24 juillet 1791 aux sociétés affiliées pour expliquer la crise des Feuillants[52].

Menacé après la fusillade du Champ-de-Mars, il accepta l'offre de Duplay, un entrepreneur de menuiserie, qui lui proposait de loger chez lui, rue Saint-Honoré. Il vécut dans cette maison jusqu'à sa mort[53].

Avec la clôture de la session parlementaire, Robespierre rentra dans la vie civile le 1er octobre 1791. Durant ce mois, de nombreuses adresses affluèrent rue Saint-Honoré, pour lui rendre hommage. Après la séance inaugurale de l'Assemblée législative, il fit un voyage vers l'Artois, où il fut accueilli avec enthousiasme par le peuple[54].

Rentré à Paris le 28 novembre, il dut s'imposer au sein des Jacobins, où l'assemblée du club lui offrit la présidence ce même jour[55]. Pendant son absence, de nombreux députés de la nouvelle Assemblée s'étaient inscrits au Club, dont les nouveaux députés de la future Gironde[56]. À cette période, la question des émigrés incitait les dirigeants révolutionnaires à prôner la guerre aux princes allemands qui les accueillaient ; le plus ardent partisan de la guerre était Brissot, l'un des nouveaux députés de Paris. Dans un premier temps, Robespierre se prononça pour la guerre, puis, après Billaud-Varenne (5 décembre 1791), il dénonça le caractère belliciste de la France contre l'Autriche à la tribune des Jacobins : d'abord le 11 décembre 1791, puis le 18 décembre, le 2 janvier 1792, le 11 janvier et le 25 janvier. Il jugeait imprudente une telle décision qui, d'après lui, faisait le jeu de Louis XVI. À ses yeux, l'armée française n'était pas prête pour mener une guerre, qui pouvait en cas de victoire, renforcer un roi et des ministres hostiles à la Révolution ; il estimait que la véritable menace n'était pas parmi les émigrés de Coblentz, mais en France même. De plus, la guerre étant ruineuse pour les finances de la France, il valait mieux favoriser les droits du peuple[57]. Il souligna enfin le caractère contre-productif de la voie militaire pour l'expansion parmi les peuples d'Europe des principes de la Révolution française : « Personne n'aime les missionnaires armés ; et le premier conseil que donnent la nature et la prudence, c'est de les repousser comme des ennemis ». Robespierre mit enfin en avant la menace d'une dictature militaire, représentée par La Fayette, responsable de la répression des suisses de Châteauvieux par Bouillé en 1790 et de la fusillade du Champ-de-Mars du 17 juillet 1791[58]. Il prononça un ultime discours anti-belliciste avant la déclaration de guerre, le 26 mars 1792.

Robespierre dut se rendre à l’évidence que, même si les formes avaient changé, l’esprit de l’ancienne justice persistait. Le 14  avril 1792, il préféra démissionner du poste d'Accusateur public, ne voulant pas être compromis par les erreurs qu’il pressentait devoir se produire[59]. Confronté à une attaque combinée de journalistes et de pamphlétaires – en particulier, le fayettiste Dubu de Longchamp, qui répondit à ses accusations du 13 avril contre le « héros des deux mondes » dans la Feuille du jour et par des chansons satiriques distribuées dans les casernes, les brissotins Jean-Marie Girey-Dupré et Aubin-Louis Millin de Grandmaison, mais aussi Sylvain Maréchal –, il décida en mai de créer son propre journal Le Défenseur de la Constitution[60], afin d’y défendre ses idées[61]. Presque en même temps, fin mai et courant juin, la question du régime à instaurer commençait à se poser. Le choix entre une république ou une monarchie, rendait sa position plus délicate face à ses adversaires politiques. Le Girondin Brissot et ses amis le disaient vendu à la Cour, et les journaux de droite le considéraient comme le chef des « républicains ». Sur ce sujet, il refusa de se prononcer en affirmant : « J'aime mieux voir une assemblée représentative populaire et des citoyens libres et respectés avec un roi, qu'un peuple esclave et avili sous la verge d'un sénat aristocratique et d'un dictateur. Je n'aime pas plus Cromwell que Charles Ier[62]. »

Comme les revers se succédaient, avec la suspension de l'offensive lancée sur la Belgique, le passage à l'ennemi du régiment de Royal-Allemand, la démission de Rochambeau et les pourparlers de La Fayette qui, non content de se rapprocher de ses adversaires lamethistes, négociait une suspension d'arme avec l'ambassadeur autrichien Mercy-Argentau, Robespierre en vint à douter de la capacité de l’Assemblée législative à préserver le pays d’une invasion étrangère aussi bien que d'une dictature militaire, se dessinant alors sous les traits de La Fayette, son pire ennemi ; d'autant que, dans un premier temps, les Girondins, parvenus au ministère, tentèrent de pactiser avec La Fayette, attaquant tous ceux qui, tels Marat ou Robespierre, dénonçaient la trahison, et tentèrent d'améliorer la discipline militaire, jugée responsable, par les généraux, de l'échec de l'attaque initiale[63].

Puis, devant l'échec de cette ouverture à droite, ils commencèrent de dénoncer les traîtres de l'intérieur, en premier lieu le « comité autrichien » dominant à la Cour, autour de la reine, et firent voter une série de décrets révolutionnaires. Le 27 mai fut ordonnée la déportation de tout prêtre réfractaire sur simple demande de vingt citoyens actifs, puis, le 29, le licenciement des 6 000 hommes de la garde constitutionnelle du roi[64]. Enfin, le 28 mai 1792, le ministre de la guerre girondin Servan demanda devant l'Assemblée que « la nation se lève tout entière » pour défendre le pays, avant d'appeler, le 8 juin, chaque canton à envoyer cinq fédérés vêtus et équipés, soit 20 000 hommes, à Paris, afin de prêter un serment civique. Robespierre vit dans cette dernière mesure, à tort de l'avis de Michel Vovelle (même s'il considère que les Girondins se sont eux-mêmes trompés « sur ce qu'allaient être ces "fédérés" »)[65], une manœuvre pour réduire l'agitation démocrate de la capitale.

Sur ce dernier point, il changea du tout au tout d'avis quand, le 18 juin, fut lue une lettre menaçante de La Fayette à l'encontre des Jacobins, accusés d'usurper « tous les pouvoirs », se déclarant prêt à employer les fédérés pour résister aux menées séditieuses d'un « général intrigant et perfide ». L'Assemblée, de son côté, ne réagit pas, pas plus que quand le général abandonna son armée pour venir lui-même, le 28 juin, dénoncer les Jacobins devant le Corps législatif, après l'invasion des Tuileries par des émeutiers lors de la journée du 20 juin[66]. La popularité du général était telle que l’Assemblée n’osa prendre aucune mesure contre lui, malgré les efforts des Girondins[67]. Elle se borna à déclarer la patrie en danger le 11 juillet[68].

Devant la menace que faisait peser La Fayette et l'incapacité de l'Assemblée à y faire face, Robespierre proposa aux Jacobins, le 11 juillet, un projet d'Adresse aux Fédérés des 83 départements saluant fraternellement les fédérés et incitant les Parisiens à les accueillir avec amitié. Il s'adressait aux fédérés en ces termes :

« Au dehors, les tyrans rassemblent contre nous des armées nouvelles : au dedans, d'autres tyrans nous trahissent. Les ennemis qui nous guident respectent le domaine du despote autrichien autant qu'ils prodiguent le plus pur sang des Français. [...] Un autre monstre privilégié est venu, au sein de l'assemblée nationale, insulter à la nation, menacer le patriotisme, fouler aux pieds la liberté, au nom de l'armée qu'il divise et qu'il s'efforce de corrompre ; et il demeure impuni ! L'assemblée nationale existe-t-elle encore ? Elle a été outragée, avilie, et elle ne s'est point vengée.
Les tyrans ont feint de déclarer la guerre à leurs complices et à leurs alliés, pour la faire de concert au peuple français ; et les traîtres demeurent impunis ! Trahir et conspirer semble un droit consacré par la tolérance ou par l'approbation de ceux qui nous gouvernent : réclamer la sévérité des lois est presque un crime pour les bons citoyens. Une multitude de fonctionnaires que la révolution a créés, égalent ceux que le despotisme avait enfantés en tyrannie et en mépris pour les hommes, et les surpassent en perfidie. Des hommes, qu'on nomme les mandataires du peuple, ne sont occupés que de l'avilir et de l'égorger. [...]
Vous n’êtes point venus pour donner un vain spectacle à la capitale et à la France… Votre mission est de sauver l’État. Assurons enfin le maintien de la Constitution : non pas de cette Constitution qui prodigue à la cour la substance du peuple ; qui remet entre les mains du roi des trésors immenses et un énorme pouvoir ; mais principalement et avant tout, de celle qui garantit la souveraineté et les droits de la nation. Demandons la fidèle exécution des lois ; non pas de celles qui ne savent que protéger les grands scélérats et assassiner le peuple dans les formes ; mais de celles qui protègent la liberté et le patriotisme contre le machiavélisme, et contre la tyrannie[69]. »

Au lendemain des célébrations du 14 juillet, Robespierre intervint aux Jacobins pour défendre le séjour des fédérés dans la capitale jusqu'à ce que la patrie eût cessé d'être en danger, demandant aux patriotes parisiens de partager avec eux leur logement et leur table[70]. Quant aux fédérés, qu'il appelait à se méfier des « émissaires et complices de la Cour » et à défendre légalement la constitution[71], il les engageait à écrire à leurs concitoyens afin de leur décrire les dangers qui menaçaient la patrie et les inviter à se joindre à eux[70]. Plutôt que de prendre clairement position en faveur de l'insurrection, il demanda la rédaction de pétitions ; lui-même rédigea celle du 17 juillet, qui demandait principalement la mise en accusation de La Fayette et de ses complices, le licenciement de l'état-major de l'armée, la destitution et la punition des directoires de départements contre-révolutionnaires coalisés avec la cour contre la liberté[72] – une trentaine sur 83 selon Jean Massin[73]. Concernant la déchéance du roi, elle affirmait : « Représentans (sic), nous dire que la nation est en danger, c’est nous dire qu’il faut qu’elle soit sauvée, c’est l’appeler à votre secours ; si elle ne peut l’être par ses représentants (sic), il faut qu’elle le soit par elle-même. […] Enfin, faites du pouvoir exécutif ce que le salut de l’État et la constitution même exigent, dans les cas où la nation est trahie par le pouvoir exécutif[74]. » Selon Gérard Walter, cette phrase prêtait aisément à équivoque et n'appelait pas expressément à la déchéance du roi. Il précise d'ailleurs qu'un membre de la députation, de son propre chef ou de manière concertée, déclara, en lieu et place de la version de Robespierre, publiée dans le numéro 10 du Défenseur de la Constitution : « Pères de la patrie ! Suspendez provisoirement le pouvoir exécutif dans la personne du roi ; le salut de l'État l'exige et vous commande cette mesure[75] ». De son côté, Ernest Hamel, qui signale également l'incident, juge que, « quant à la personne du roi », le texte de la pétition ne s'expliquait pas « bien nettement à son égard[76] ». Pour Jean Massin, « le texte rédigé par Robespierre disait le maximum possible dans les limites de la prudence et de la légalité. Mais à la barre de l'Assemblée, l'orateur de la députation des fédérés [jugea] préférable de remplacer cette phrase bien pesée par une autre plus claire et plus brutale[73] ». En ce qui concerne Albert Mathiez, selon lequel Robespierre rédigea les pétitions de plus en plus menaçantes que les fédérés présentèrent coup sur coup à l'Assemblée[77], il est évident, à ses yeux, que celle du 17 juillet réclamait la déchéance. Quoi qu'il en soit, Robespierre témoignait, à travers ce texte, de son souci de trouver une solution légale à la crise constitutionnelle, en laissant aux députés le soin de se prononcer, conformément à la constitution, qui prévoyait au chapitre II, section première, plusieurs circonstances aboutissant à « l'abdication expresse ou légale du roi », notamment l'article 6, qui explique que, « si le roi se met à la tête d'une armée et en dirige les forces contre la nation, ou s'il ne s'oppose pas par un acte formel à une telle entreprise, qui s'exécuterait en son nom, il sera censé avoir abdiqué la royauté[78]. »

En réponse aux pétitions, l'Assemblée vota le 23 juillet, sur proposition de Brissot, la création d'une commission chargée d'examiner quels étaient les actes pouvant entraîner une déchéance, ainsi que la rédaction d'une adresse au peuple le prévenant contre « les mesures inconstitutionnelles et impolitiques ». Deux jours plus tard, le 25, Brissot menaçait les républicains du glaive de la loi : « Si ce parti de régicides existe, s’il existe des hommes qui tendent à établir à présent la République sur les débris de la Constitution, le glaive de la loi doit frapper sur eux comme sur les amis actifs des deux Chambres et sur les contre-révolutionnaires de Coblentz[72]. » À la suite de son adresse aux fédérés du 11 juillet, le ministre de la justice avait dénoncé Robespierre à l'accusateur public, mesure révélée aux Jacobins lors de la séance du 16 juillet[70] mais demeurée sans effet[79]. À travers ces discours, à leur tour, les Girondins menaçaient ouvertement Robespierre[80]. Hostile à l'Assemblée, dont il était persuadé de la trahison, celui-ci répliqua, dans un discours aux Jacobins, le 29 juillet, en demandant, non seulement la suspension, mais la déchéance, et, au-delà, l'élection d'une convention nationale, ainsi que le renouvellement des directoires de département, des tribunaux et des fonctionnaires publics, l'épuration des états-majors et la constitution d'un nouveau gouvernement[81] :

« Le chef du pouvoir exécutif a-t-il été fidèle à la nation ? Il faut le conserver. L’a-t-il trahie ? Il faut le destituer. L’Assemblée nationale ne veut point prononcer la déchéance ; et si on le suppose coupable, l’Assemblée nationale est elle-même complice de ses attentats, elle est aussi incapable que lui de sauver l’État. Dans ce cas, il faut donc régénérer à la fois, et le pouvoir exécutif et la législature. [...] Que tous les Français domiciliés dans l’arrondissement de chaque assemblée primaire, depuis un tems assez considérable, pour déterminer le domicile, tel que celui d’un an, soit admis à y voter ; que tous les citoyens soient éligibles à tous les emplois sans autre privilège, que celui des vertus et des talens (sic). Par cette seule disposition, vous soutenez, vous ranimez le patriotisme et l’énergie du peuple ; vous multipliez à l’infini les ressources de la patrie ; vous anéantissez l’influence de l’aristocratie et de l’intrigue ; et vous préparez une véritable Convention nationale ; la seule légitime, la seule complète, que la France aurait jamais vue[82]. »

Le même jour, il écrivit un article enthousiaste pour accueillir l'arrivée des 500 hommes du bataillon des Marseillais, emmenés par Barbaroux, avec lesquels il aurait pris contact, selon Gérard Walter, pour élaborer un plan d'action[83].

À cette époque, les Girondins venaient de fonder le club de la Réunion. Lors de la séance du 30 juillet, après avoir pris connaissance du discours de Robespierre, Isnard et Brissot s'engagèrent l'un et l'autre à demander à l'Assemblée un décret d'accusation à l'encontre de Robespierre et de son ami Anthoine, qui avait défendu les mêmes doctrines, afin qu'ils soient traduits devant la cour d'Orléans[84].

Le 1er août, la révélation de ces faits provoqua une vive émotion parmi les Jacobins. Méprisant ces tentatives, Robespierre revint sur son intervention du 29 juillet pour demander, cette fois, la convocation d'« une convention nationale, dont les membres seront élus directement par les assemblées primaires, et ne pourront être choisis parmi ceux de l’assemblée constituante ni de la première législature[85] », ce qui l'excluait des personnes éligibles[86]. Le 7 août, Pétion vint visiter Robespierre pour lui demander d'user de son influence auprès du directoire insurrectionnel[87] pour différer l'insurrection, afin de laisser le loisir à l'Assemblée d'étudier la question de la déchéance du roi, ce que Robespierre aurait d'abord agréé. Toutefois, lorsqu'il apprit, le lendemain, l'absolution de La Fayette, jugeant que cette décision correspondait à un défi, il y renonça. Le 9 août, dans une lettre à Couthon, alors en cure, il écrivit : « La fermentation est au comble, et tout semble présager la plus grande commotion à Paris. Nous sommes arrivés au dénouement du drame constitutionnel. La Révolution va reprendre un cours plus rapide, si elle ne s'abîme dans le despotisme militaire et dictatorial[88] ».

La question du rôle de Robespierre lors de l'insurrection du 10 août a donné lieu à des discussions. Dans un texte adressé à Pétion, l'Incorruptible affirma lui-même avoir « été presque aussi étranger que [lui] aux glorieux événemens (sic) » de cette journée[89]. De leur côté, ses adversaires prétendirent qu'il s'était tenu caché chez son hôte, les volets clos, Vergniaud allant jusqu'à affirmer, dans un discours, en avril 1793, qu'il s'était terré dans sa cave[90],[91]. Albert Mathiez, au contraire, affirma qu'il était le principal inspirateur de la journée[92]. Outre les discours prononcés avant l'insurrection et les pétitions de sa main, qui réclamaient la déchéance du roi et l'élection d'une Convention nationale, il en veut pour preuve que, « sous son impulsion, les Fédérés » avaient nommé « un directoire secret où figurait son ami Anthoine » et que « ce directoire se réunit parfois dans la maison du menuisier Duplay où il logeait, comme Anthoine[93]. » De même, pour Ernest Hamel, le rôle de Robespierre dans cette journée était indéniable, non seulement dans la préparation des esprits, mais également, supposait-il, durant la nuit qui précéda l'insurrection. Si « Robespierre ne figura pas au cabaret du Soleil-d'Or avec les principaux moteurs d'insurrection qui bientôt allaient entraîner les masses populaires à l'assaut des Tuileries », avec son discours du 29 juillet, « il fit mieux, il mena les idées au combat, et, gardien jaloux des principes décrétés en 1789, il chercha, avant tout, à empêcher la Révolution d'aboutir à la dictature ou à l'anarchie ». Partisan d'un changement constitutionnel, il fut également, dès son discours du 29 juillet, selon lui, un partisan déclaré de l'insurrection puisque, dans son souci de sauver l'État coûte que coûte, il affirmait : « Il n'y a d'inconstitutionnel que ce qui tend à sa ruine[94] ». Aux yeux de Jean Massin, de même, si Robespierre n'avait pas participé à l'insurrection, pas plus que Marat ou Danton, c'est qu'il n'avait « aucun des dons requis pour diriger sur place une manifestation populaire, moins encore une insurrection » et qu'il en était conscient. Mais « c'est lui qui avait vu le mieux et le plus tôt la nécessité de donner la parole au peuple. C'est lui qui avait vu le plus fortement la nécessité d'unir, dans un même mouvement, fédérés et sectionnaires pour transformer une émeute parisienne en une révolution nationale. C'est lui surtout qui avait clairement défini les buts que devait s'assigner le mouvement pour ne pas être inutile. En tous ces sens, la victoire populaire du Dix-Août était sa victoire : si sa main ne l'avait pas dirigée, son cerveau l'avait rendue possible[95] ».

Depuis, les biographes de Robespierre, dans leur ensemble, ont plutôt eu tendance à minorer son rôle dans l'insurrection. Ainsi, Gérard Walter considère que Robespierre était plutôt partisan d'une solution légale et considérait l'insurrection avec scepticisme[71], tandis qu'aux yeux de Max Gallo, Robespierre était trop légaliste pour prendre le parti de participer à une insurrection[96]. De l'avis de Jean-Paul Bertaud, également, Aulard et Mathiez se sont trompés en reprenant la thèse royaliste d'un complot jacobin à l'origine du 10 août, pour mettre en valeur le rôle supposé, l'un de Danton, l'autre de Robespierre ; l'Incorruptible était pour lui « dans la nuit du 9 au 10 en retrait », de même que l'ensemble des tribuns révolutionnaires et, si les Jacobins avaient participé au mouvement, ce n'avait jamais été pour le précipiter[97].

Auteur hostile à Robespierre, Patrice Gueniffey va même, quant à lui, jusqu'à penser qu'en homme de 1789, même s'il désapprouvait le suffrage censitaire, Robespierre aurait jugé que la révolution était faite, que les bases constitutionnelles étaient pures et que seules les machinations des factions compromettaient le rétablissement « de la paix et de l'union ». À l'en croire, « Robespierre avait embrassé le projet de Barnave » en défendant la paix et la constitution contre leurs menées, ce qui aurait dû entamer son crédit politique puisqu'il s'opposait ainsi « à tout supplément de révolution », « mais avec plus d'intelligence », ce qui lui permit d'être « l'un des principaux bénéficiaires de l'insurrection du 10 août 1792[98] ».

Le 10 août, dans l'après-midi, il se rendit à l'assemblée de sa section, la section de la place Vendôme, qui le nomma, le lendemain, son représentant à la Commune insurrectionnelle, puis aux Jacobins, où il esquissa, dans un discours, les mesures urgentes à prendre : le peuple ne devait pas se démobiliser, mais exiger la convocation d'une Convention nationale, La Fayette devait être déclaré traître à la patrie, la Commune devait envoyer des commissaires dans tous les départements pour leur expliquer la situation, les sections devaient abolir la distinction entre « citoyens actifs » et « citoyens passifs » et créer des sociétés populaires, afin de faire connaître la volonté du peuple à ses représentants. Pour Gérard Walter, « son souci primordial a été de discipliner le mouvement déclenché, de lui enlever son caractère chaotique et, au moyen d'une tactique ferme et intelligente, d'obtenir que le sacrifice fourni porte des fruits. » Par ailleurs, il note qu'aucune de ses recommandations ne fut négligée par la Commune[99].

Le 12 août, en fin d'après-midi, Robespierre parut à la barre de l'Assemblée, où il obtint la reconnaissance de la Commune insurrectionnelle, menacée le matin même par le vote d'un décret ordonnant la formation d'un nouveau directoire de département sur les mêmes bases que l'ancien. Par ailleurs, devant la décision de l'Assemblée, le 11 août, de créer une cour martiale pour juger les Suisses capturés lors de l'assaut du château des Tuileries, il rédigea, au nom de la Commune, une adresse demandant le jugement de tous les « traîtres » et « conspirateurs », en premier lieu La Fayette, qu'il vint présenter le 15 août, à la tête d'une délégation, devant les députés, très rétifs devant un « tribunal inquisitorial » (selon Choudieu) et attentatoire aux libertés (selon Thuriot). Le principe était une cour populaire chargée de juger les « traîtres et conspirateurs du 10 août », mais Brissot, chargé du rapport, fit échouer le projet, recommandant le maintien du tribunal criminel ordinaire, auquel il proposa d'adjoindre un jury supplémentaire composé de représentants des sections parisiennes et de supprimer le recours en cassation « pour accélérer la procédure ». Une seconde délégation du Conseil général de la Commune, dont Robespierre était absent, le 17 août, vint protester contre cette décision. Après l'intervention des membres du jury nommés conformément au décret du 15 août, l'Assemblée décréta finalement la création d'un tribunal criminel extraordinaire, plus connu sous le nom de « tribunal du 17 août », dont on nomma les juges dans la nuit. Le nom de Robespierre venant en tête de la liste, Robespierre aurait dû en prendre la présidence, mais il la refusa. « Je ne pouvais être le juge de ceux dont j'ai été l'adversaire » devait-il expliquer par la suite[100]. Toutefois, selon Gérard Walter, son absence contribua à saboter l'action du tribunal, dont la mauvaise volonté à juger les causes fut, pour Albert Mathiez[101] et Gérard Walter[102], à l'origine des massacres de Septembre. De son côté, Roger Dupuy considère que l'opinion, sous la double emprise de la peur et d'une volonté de vengeance inassouvie après les morts du 10 août, s'exaspérait de l'impuissance du tribunal, qui non seulement ne condamnait à mort qu'à compte-gouttes, mais encore acquittait des prévenus faute de preuves[103].

Selon Pétion, alors maire de Paris, Robespierre avait pris « de l'ascendant dans le Conseil » et « entraînait sa majorité ». Si, entre le 23 et le 29 août, il participa surtout aux séances pré-électorales de sa section, constituée en assemblée primaire, le 30 août, le 1er et le 2 septembre, il joua, selon Gérard Walter, un rôle directeur au Conseil général de la Commune. En effet, lors de la séance du 1er septembre, s'étant vu confier l'avant-veille, 30 août, la rédaction d'une adresse aux 48 sections de la capitale, il prononça un discours dans lequel il s'opposait au décret de la Législative sommant la Commune de se démettre au profit des membres de l'ancien corps municipal et dénonçait les manœuvres des Girondins contre la municipalité issue du 10 août[104]. Pour lui, le maintien des anciens administrateurs devait être laissé à l'appréciation des sections, dans le cadre d'un scrutin épuratoire qui déterminerait lesquels devaient être conservés dans leurs fonctions. Toutefois, selon Ernest Hamel, il proposa également à la Commune de remettre au peuple « le pouvoir que le conseil général a reçu de lui », c'est-à-dire d'organiser de nouvelles élections, proposition finalement rejetée, sur l'intervention de Manuel[105].

Le 27 août, l'assemblée générale de la section de la place Vendôme, constituée la veille en assemblée primaire, élut « à l'unanimité des suffrages » Robespierre pour son président, charge qu'il occupa le temps des opérations électorales du 28 au 31 août[106]. Puis, le 28, il fut élu « à l'unanimité des suffrages, moins un », premier électeur par sa section[107]. L'assemblée électorale se tint à l'Évêché du 2 au 19 septembre et l'élut dès le 5 septembre, au premier tour de scrutin, premier député de Paris, par 338 voix sur 525[108],[109]. Le 2 septembre, il avait également été élu premier député du Pas-de-Calais, dès le premier tour de scrutin, par 412 voix sur 721 votants, mais il opta pour la capitale[110].

À partir de la huitième séance, le 9 septembre, l'Assemblée électorale résolut de discuter les candidats. Robespierre participa à la discussion, sans jamais citer aucun nom, mais, de l'avis de Louvet comme de Michelet et de Gérard Walter, il contribua, grâce à son influence, à l'élection de Marat, contre le savant Priestley, présenté par les Girondins – ce dont il se défendit lui-même et qu'Hamel réfute[111],[112]. De même, selon Walter, il favorisa l'élection de Panis et Robert, contre Tallien[113]. Enfin, la considération des électeurs à son égard valut, « sans nul doute » selon Ernest Hamel[114], à son frère cadet, Augustin, d'être élu député de Paris le 16 septembre.

À l’origine de la Convention nationale, élue au suffrage universel, Robespierre était l'une des principales figures de la Montagne avec Danton et Marat.

D'emblée, les Girondins attaquèrent les députés de Paris, et en premier lieu Robespierre, accusés d'aspirer à la dictature, en s'appuyant sur les écrits de Marat. Après Lasource et Osselin, les Marseillais Rebecqui et Barbaroux lancèrent le 25 septembre une première offensive, au cours de laquelle le second signala que, lors de la prise de contact qu'ils auraient eu avec le bataillon des Marseillais, lors de leur arrivée à Paris, les amis de Robespierre leur aurait offert, après l'accomplissement de l'insurrection, d'investir l'Incorruptible d'un pouvoir dictatorial, ce qui semblait s'accorder avec les appels de Marat à l'installation d'un dictateur. Toutefois, s'il revendiqua sa proposition, Marat affirma que Danton et Robespierre l'avaient l'un et l'autre rejetée[115],[116],[117].

Durant le mois d'octobre, Robespierre se tint éloigné de la tribune, peut-être malade, et n'intervint que le 28 octobre, devant les Jacobins, pour témoigner de son pessimisme : « Ôtez le mot de République, je ne vois rien de changé. Je vois partout les mêmes vices, les mêmes calculs, les mêmes moyens, et surtout la même calomnie. » Le lendemain, Roland, après avoir présenté un tableau de la situation de Paris, demanda à lire les pièces justificatives de son mémoire, parmi lesquels se trouvait une lettre qui laissait entendre que Robespierre aurait préparé une liste de proscription[118]. Monté à la tribune pour se défendre, l'Incorruptible fut interrompu par Louvet, qui profita de l'occasion pour prononcer le réquisitoire qu'il préparait depuis des semaines. Dans ce discours, où il passait en revue toute l'activité de Robespierre depuis le début des discussions sur la guerre, il reprochait à Robespierre d'avoir longtemps calomnié « les plus purs patriotes », y compris pendant les massacres de Septembre, d'avoir « méconnu, avili, persécuté les représentants de la nation et fait méconnaître et avilir leur autorité », de s'être offert « comme un objet d'idolâtrie », d'avoir imposé sa volonté sur l'assemblée électorale du département de Paris « par tous les moyens d'intrigue et d'effroi », enfin, d'avoir « évidemment marché au suprême pouvoir[119] ». Ayant obtenu un délai de huit jours, Robespierre répliqua, le 5 novembre, par un discours qui réduisit au silence ses adversaires en démontrant l'inconsistance des accusations de Louvet et en justifiant les mesures du conseil général de la Commune à partir du 10 août[120],[121]. À travers ce discours, dans lequel Robespierre répondit à Louvet : « Citoyens, vouliez-vous une révolution sans révolution ? », les Montagnards, accusés par Brissotins et Rolandins « de soutenir les sans-culottes et de cautionner » les massacres de Septembre, finissaient « par les revendiquer », selon Jean-Clément Martin[122].

Le lendemain, Valazé présenta son rapport sur « l'affaire Louis Capet », suivi les trois jours suivants par cinq autres orateurs, dont Saint-Just, l'abbé Grégoire et Robert. Robespierre, lui, demeura silencieux, peut-être malade, comme le laissent penser les Mémoires de sa sœur, selon Gérard Walter. Durant le mois de novembre, tandis que les débats sur le procès diminuaient, le peuple était confronté à une pénurie des subsistances, et des troubles éclatèrent dans de nombreux départements. Considérant que les Girondins cherchaient à sauver Louis XVI pour le rétablir sur le trône, il intervint lors de la séance du 30 novembre, afin de ramener en avant la question du procès. Puis, comme l'Assemblée menaçait de traîner en longueur sur des questions légales, il prononça un nouveau discours, le 3 décembre, dans lequel il expliqua qu'il n'y avait « pas de procès à faire », que la journée du 10 août avait déjà réglé la question et que Louis XVI devait être immédiatement déclaré traître à la nation française. La Convention rejeta cet avis, de même que celui de Saint-Just, qui demandait la mise hors-la loi du roi, mais l'acquittement devenait invraisemblable[123],[124].

En réaction, le girondin Salle proposa le 27 décembre de renvoyer le procès devant les assemblées primaires. Le 15 janvier 1793, l'« appel au peuple » fut rejeté par la Convention par 424 voix contre 283. Le lendemain, la peine capitale fut votée par 366 voix contre 355, puis, après des réclamations, par 361 voix contre 360[125].

En revanche, quand, le 21 janvier, après l'assassinat de son ami Lepeletier de Saint-Fargeau, Basire demanda la peine de mort contre quiconque recèlerait le meurtrier, il s'y opposa, jugeant la motion « contraire à tous les principes », alors que la Convention devait « effacer [du] code pénal la peine de mort[126] ».

Dans les semaines qui suivirent, alors qu'une offensive était lancée sur l'Escaut pour déborder les Provinces-Unies, se constituait une coalition antifrançaise. Le 23 février afin de reconstituer l’armée, dégarnie après le départ des volontaires de 1792, la Convention décrète une levée de 300 000 hommes, et 82 représentants furent envoyés dans les départements pour hâter l'opération ; pour se débarrasser d'une partie de leurs adversaires, les Girondins favorisèrent dans de nombreux cas la nomination de Montagnards, et ce jusqu'en juin, permettant ainsi à ceux-ci d'entrer en contact avec les armées et les autorités locales et de resserrer leurs liens avec les sociétés populaires[127]. De même, lors des séances du 9 au 11 mars, fut créé, sur la demande de Cambacérès et de Danton et suivant le projet de Lindet, un tribunal révolutionnaire chargé de punir les « conspirateurs » et les « contre-révolutionnaires » (dont Robespierre demanda, le 11, une plus stricte définition, afin que les révolutionnaires ne pussent être compris dans les poursuites, ce qui fut adopté suivant la rédaction, moins restrictive, proposée par Isnard)[128],[129]. Cependant, des troubles éclataient dans plusieurs départements de l'Est et en Vendée, ce qui amena la Convention à décréter, le 18 mars, sur proposition de Duhem et de Charlier, la peine de mort dans les vingt-quatre heures pour toute personne convaincue d'émigration, puis, le 19, sur un rapport de Cambacérès, la mise hors-la-loi de tout individu « prévenu d'avoir pris part à quelque émeute contre-révolutionnaire et arboré la cocarde blanche ou tout autre signe de rébellion[130] ». C'est dans ce contexte que se situe l'affaire Dumouriez.

L'attitude de Robespierre à l'égard du général fut d'abord circonspecte. Dans le débat qui eut lieu le 10 mars devant la Convention, au cours duquel furent lus quelques lettres rassurantes de Dumouriez et le rapport de Lacroix et Danton, qui rendaient compte de leur mission auprès des armées (où ils avaient été commis afin d'évaluer le rôle des officiers dans les échecs) en louant le patriotisme du général, il jugea, pour sa part, que « son intérêt personnel, l'intérêt de sa gloire même », l'attachait au succès des armées françaises. Toutefois, selon Gérard Walter[131], le général avait alors conçu le projet d'établir Louis XVII sur le trône, avec Marie-Antoinette comme régente et lui-même comme « protecteur du royaume » en se servant de ses succès militaires. Mais ces projets furent anéantis par la bataille de Neerwinden, le 18 mars. À la nouvelle de cette défaite, une commission de salut public de 25 membres, réunissant des députés de toutes les tendances, fut instituée le 25 mars en lieu et place du comité de défense générale ; Robespierre accepta d'en faire partie[132]. Toutefois, quand, le 26 mars, le ministre de la Guerre, Beurnonville, transmit au comité, réuni en séance commune avec le Conseil exécutif, une lettre dans laquelle le général proposait de retirer ses troupes de Belgique et d'adopter à l'avenir une stratégie uniquement défensive, Robespierre s'opposa à Danton, qui l'ayant rencontré le 15 mars (trois jours après la lecture d'une lettre à la Convention dans laquelle il rendait l'agitation des Jacobins et des sans-culottes responsable des défaites), avait présenté sa défense, et exigea sa destitution immédiate, le jugeant indigne de la confiance de la nation et dangereux pour la liberté, mais il ne fut pas suivi. Mandé à la barre de la Convention le 30 après une seconde lettre hostile aux « anarchistes » et une tentative, le 27, d'entraîner son armée sur la capitale, le général fit arrêter les quatre commissaires envoyés par l'Assemblée, dont le ministre de la Guerre, et tenta vainement de convaincre ses troupes de se retourner contre la République[127], ce qui lui valut d'être déclaré traître à la patrie le 3 avril 1793[133].

Or, la veille, Brissot avait inséré dans son journal un éloge de Dumouriez. Compromis dans les manigances de Dumouriez, Danton avait subi les attaques de la Gironde, auxquelles il avait répondu le 1er avril en leur retournant l'accusation[134]. Quand, le soir du 3 avril, Robespierre dénonça l'incapacité du comité de défense générale, la vive réaction des Girondins l'amena à présenter les différents éléments qui, à ses yeux, établissaient leur complicité avec Dumouriez[135]. Le 5 et le 6 avril, sur la demande des Montagnards, la commission de salut public fut remplacée par le comité de salut public, dominé par Danton, Barère et Cambon, puis il fut décidé, le 9 avril, d'envoyer des représentants en mission aux armées[136].

Depuis janvier, une lutte opposait, au sein des sections parisiennes et provinciales, les modérés, parfois proches des Girondins, et les radicaux, sensibles aux revendications des Enragés, qui, dans un contexte d'effondrement de l'assignat, d'inflation, de vie chère, de récession et de travail rare, réclamaient la taxation, la réquisition des denrées, des secours publics aux pauvres et aux familles de volontaires, le cours forcé de l'assignat et l'instauration d'une Terreur légale contre les accapareurs et les suspects. Dès le 1er avril, à l'annonce de la trahison de Dumouriez, Varlet avait fondé à l'Évêché un comité central révolutionnaire, dit le comité de l'Évêché, tandis que Jacques Roux provoquait la formation d'une assemblée générale des comités de surveillance de Paris, qui obtint le soutien de la Commune et de son procureur, Chaumette, mais entra en concurrence avec le comité[127]. Le 4 avril, au lendemain de la dénonciation de Robespierre, la section de la Halle-aux-Blés rédigea un projet d'adresse à la Convention demandant un décret d'accusation contre « les députés coupables », ainsi qu'une loi contre les accapareurs, la destitution des officiers nobles et l'épuration de l'administration[137]. Le 8 avril, lors de la séance du soir, une députation de la section de Bon-Conseil vint demander un décret d'accusation contre les chefs girondins et obtint, sur la demande de Marat, les honneurs de la séance. Le 10 avril, Pétion ouvrit les débats de la séance du matin en dénonçant, en termes très vifs, le projet d'adresse de la section de la Halle-aux-Blés, pourtant conçu, selon Hamel, dans le même esprit que celle de la section de Bon-Conseil, et demanda le renvoi devant le tribunal révolutionnaire de son président et de son secrétaire. À sa suite, Guadet détourna l'accusation de complicité avec Dumouriez, selon Hamel, contre « les acolytes d'Égalité, c'est-à-dire, dans sa pensée, les Danton, les Marat ». En réponse, Robespierre réitéra son accusation à l'encontre des Girondins dans un long réquisitoire qui situait la trahison du général dans le cadre d'une plus vaste conspiration et auquel Vergniaud répondit aussitôt[138]. Le 11, Vergniaud fut suivi dans cette voie par Pétion et Guadet, qui, profitant de l'absence de nombreux Montagnards, envoyés en mission en province, retourna l'accusation de conspiration en faveur d'Orléans contre Robespierre, Danton et la Montagne et demanda la mise en accusation de Marat, accusé d'avoir initié et signé une adresse des Jacobins aux départements accusant la Convention de renfermer la contre-révolution dans son sein – le décret d'accusation fut voté le lendemain sur un rapport du comité de législation[139],[140].

Au terme de la séance du 10, Robespierre se rendit aux Jacobins, où il résuma son réquisitoire et critiqua le projet d'adresse de la section de la Halle-aux-Blés, dont les excès de langage, à ses yeux, produisaient « des effets terribles dans les départements ». En lieu et place, il demanda que des assemblées extraordinaires fussent convoquées dans toutes les sections « pour délibérer sur les moyens de dénoncer à la France entière la trame criminelle des traîtres ». Cette démarche aboutit, le 15 avril, à la présentation, par 35 des 48 sections révolutionnaires de Paris, d'une adresse au ton modéré mais qui comportait une liste de 22 « mandataires coupables du crime de félonie envers le peuple souverain », destinée à tous les départements pour demander leur accord, afin de contraindre les députés visés à se retirer de l'Assemblée. Cette pétition, qui donnait à cette épuration la forme d'une consultation nationale, fut rejetée par la Convention, ce qui, après l'acquittement de Marat devant le tribunal révolutionnaire[141], le déclenchement de la guerre de Vendée et le soulèvement de Lyon, favorisa le développement d'une atmosphère de crise dans la capitale. Devant cette situation, la Gironde obtint le 18 mai de la Convention la création d'une commission extraordinaire des Douze destinée à briser la Commune, qui soutenait le mouvement[142],[143].

Absent du 14 au 23 mai, peut-être malade, Robespierre intervint, malgré sa faiblesse physique, devant les Jacobins le 26, lui qui jusque-là avait prêché le calme et la modération contre les Enragés et les exagérés, avec l'espoir d'emporter la lutte sur le terrain parlementaire, pour inviter « le peuple à se mettre dans la Convention nationale en insurrection contre les députés corrompus ». Après avoir tenté en vain d'obtenir la parole devant la Convention le lendemain, il prononça un discours, le 28, pour dénoncer les Girondins, mais, interrompu par Barbaroux et trop faible pour faire face, il quitta la tribune en invitant « les républicains » à replonger les brissotins « dans l'abîme de la honte ». Épuisé par ses efforts, il intervint une dernière fois aux Jacobins le 29 pour exhorter la Commune à prendre la direction du mouvement insurrectionnel, se déclarant lui-même incapable, « consumé par une fièvre lente », de « prescrire au peuple les moyens de se sauver[144] ».

Le 31 mai, il demeura silencieux jusqu'à ce que fût proposée la mise aux voix du rapport que Barère avait présenté au nom du comité de salut public, dans lequel il se bornait à demander la suppression de la commission des Douze. Jugeant les mesures proposées insuffisantes, il intervint à la tribune pour s'opposer à la constitution d'une force armée chargée de protéger la Convention et demander « le décret d'accusation contre tous les complices de Dumouriez et contre tous ceux qui ont été désignés par les pétitionnaires ». Toutefois, la Convention se prononça en faveur du projet de Barère. Le 2 juin, elle finit par céder, sous la menace des canons d'Hanriot[145].

Dès le 3 juin, Robespierre revendiqua le rôle des Jacobins qui avaient contribué à l'organisation et au succès de l'insurrection face aux Enragés et Exagérés avec l'appui, selon Patrice Gueniffey, des militants des sections qui « n'entendaient nullement déposer les armes sans avoir recueilli tout le bénéfice de leur victoire[146] », ou encore de la droite qui conservait de solides positions à la Convention (où dominait jusque parmi les Montagnards une volonté de conciliation). Maximilien de Robespierre déclara dans ce contexte : « Il faut que nous nous emparions des comités et que nous passions des nuits à faire de bonnes lois ». Or, le 6 juin, Barère présenta au nom du comité de salut public un rapport demandant la dissolution de l'ensemble des comités révolutionnaires créés à l'occasion de la crise de mai, l'expulsion de tous les étrangers suspects, l'élection d'un nouveau commandant général de la garde nationale et l'envoi dans les départements dont les députés avaient été décrétés d'arrestation un nombre égal de députés comme otages – Danton appuya cette dernière proposition, Couthon et Saint-Just s'offrant eux-mêmes comme otages. Quand la discussion s'engagea, le 8 juin, Robespierre se prononça contre ce rapport, hormis sur la question d'une loi sur les étrangers, qu'il voulait plus sévère, et obtint son retrait ; Hanriot fut confirmé dans ses fonctions, et les comités révolutionnaires purent poursuivre leur action[147],[148],[149],[150].

Après l'adoption de la loi du 3 juin 1793 sur le mode de vente des biens des émigrés, qui stipulait que les lots seraient divisés en petite parcelle, avec un délai de paiement de dix ans, pour favoriser les paysans pauvres, et de celle du 10 juin sur le partage, facultatif, des biens communaux, à part égale, par tête d'habitant (et non par propriétaire) et au tirage au sort, et avant la loi du 17 juillet sur l'abolition complète et sans indemnité (au contraire de la nuit du 4 août 1789) des droits féodaux, Hérault de Séchelles présenta un projet de constitution auquel avaient contribué Couthon et Saint-Just et qui fixait un projet de démocratie politique[151]. Robespierre avait lui-même présenté, le 24 avril, un projet de déclaration des droits (précédé par un discours sur la propriété), prolongé le 10 mai par un discours sur la constitution future[152],[153], dont l'influence sur le projet final a fait l'objet de discussions[154],[155]. Son discours sur la propriété et sa déclaration entendaient limiter le droit de propriété, face au projet de constitution girondine, par « l'obligation de respecter les droits d'autrui » et de ne « préjudicier ni à la la sûreté, ni à la liberté, ni à l'existence, ni à la propriété de nos semblables », l'établissement d'une fiscalité redistributive et progressive ainsi que d'une fraternité et citoyenneté universelles[156].

Engagé le 11 juin, le débat aboutit le 23 juin à l'adoption du projet[157]. Le dernier jour, une partie des députés de droite étant restés assis sur leurs bancs lors du vote de la déclaration des droits, Robespierre s'opposa aux députés qui, comme Billaud-Varenne, réclamaient l'appel nominal, afin que la France entière connût lesquels de ses représentants « s'étaient opposés à son bonheur ». Il affirma à cette occasion : « J'aime à me persuader que, s'ils ne se sont pas levés avec nous, c'est plutôt parce qu'ils sont paralytiques que mauvais citoyens[158] ».

Dans le même temps, selon Gérard Walter, il œuvra pour favoriser la position de Couthon, Saint-Just et Jeanbon Saint-André, qui avaient été adjoints au comité de salut public le 31 mai et que l'historien qualifie de « robespierristes », et pour éliminer Danton, qui aurait cessé de lui inspirer confiance depuis l'affaire Dumouriez, notamment dans son discours aux Jacobins du 8 juillet. Le 10 juillet, la Convention procéda au renouvellement du comité. Tandis que les trois adjoints faisaient leur entrée comme membres, Danton n'était pas réélu. Le même jour Robespierre entra, avec Léonard Bourdon, à la Commission d'instruction publique, en remplacement de Jeanbon Saint-André et de Saint-Just. À ce titre, il présenta à la Convention, trois jours plus tard, le plan d'éducation nationale rédigé par son ami Lepeletier en qualité de rapporteur. Puis, le 26 juillet, Gasparin démissionna ; Robespierre prit part à la séance du Comité de ce jour, avant d'être élu à sa place le lendemain, sur proposition de Jeanbon Saint-André[159]. Il était courant que les députés pressentis pour faire partie du comité assistent à ses séances. Ainsi Carnot et Prieur de la Côte-d'Or, qui furent appelés le 14 août, assistèrent, le premier, à la séance du 11, le second, à celles des 4, 5, 6, 7 et 12 août[160].

Robespierre participa d'abord principalement aux délibérations sur la question militaire, à une époque où les défaites se succédaient. Devant la détresse de la situation, Barère proposa l'entrée de techniciens capables de dresser un plan d'opérations; Carnot, alors en mission dans le Nord, et Prieur de la Côte-d'Or furent appelés à siéger le 14 août[161],[162]. Inquiet, selon Jules Michelet et Gérard Walter, de cette arrivée qui pouvait préfigurer la constitution d'une coalition avec Thuriot, Barère et Hérault de Séchelles, Robespierre déclara le soir même aux Jacobins : « Appelé contre mon inclination au Comité de Salut public, j'y ai vu des choses que je n'aurais osé soupçonner. J'y ai vu d'un côté des membres patriotes qui cherchaient en vain le bien de leur pays, et de l'autre, des traîtres qui tramaient au sein même du Comité contre les intérêts du peuple[163] ». Au contraire, pour Ernest Hamel, il n'y avait alors encore aucune divergence d'opinion entre Robespierre et Carnot, avec lequel il avait été lié d'amitié à Arras, et les paroles prononcées aux Jacobins le soir du 11 août[164], qui ont pu selon lui être infidèlement rapportées, ne l'empêchèrent pas, le 25 septembre, de demander à la Convention de déclarer que le comité avait bien mérité de la patrie[165].

Le rôle joué par Robespierre au sein du Comité de salut public et son influence réelle sur le gouvernement révolutionnaire font débat. Si maints historiens estiment qu'il disposait d'un ascendant réel, le considérant comme le « maître » du comité de salut public, de la Terreur, de la révolution ou de la France[166],[167], plusieurs autres contestent l'idée qu'il y ait exercé une quelconque prépondérance et jugent qu'au contraire, il fit l'objet de vives contestations parmi ses collègues[168],[169]. Toutefois, il fut présenté par les thermidoriens – qu'il s'agisse des membres des anciens comités (Barère, Collot d'Herbois, Billaud-Varenne, Vadier et Amar) ou des anciens représentants en mission qu'il avait voulu dénoncer (Fouché, Tallien, Rovère, Louchet, etc.) – comme l’âme de la « dictature jacobine », imposant un régime de terreur. En décrivant la Terreur comme la dictature d'un seul, « bouc émissaire abattu », les Conventionnels espéraient prouver devant l'opinion « leur non-responsabilité, peut-être même leur innocence, voire leur état de victime et rendre alors justifiable et peut-être logique leur volte-face[170] ». Si les mesures d’exception étaient jugées indispensables pour sauver la République gravement menacée à l’intérieur par plusieurs soulèvements (insurrection en Vendée, insurrections fédéralistes, notamment soulèvement de Lyon) et à l’extérieur par la menace militaire (guerre contre les monarchies européennes coalisées), on n'a jamais prouvé la responsabilité de Robespierre dans les dérives et les atrocités de la répression en Vendée, à Lyon, dans le Midi, dans le Nord et à Paris, certains historiens, comme Albert Mathiez ou Jean-Clément Martin jugeant même qu'à ses yeux, la répression ne devait frapper que les vrais coupables, et non les comparses, et se réduire au strict nécessaire[171]. Ainsi, selon Mathiez, quand Jullien de Paris, envoyé en mission par le comité de salut public dans les départements maritimes, l'alerta sur le comportement de Carrier à Nantes[172] et de Tallien à Bordeaux, il demanda leur rappel, de même qu'il réclama celui de Barras et de Fréron, en mission dans le Midi, de Rovère et Poultier, qui organisaient dans la Vaucluse les bandes noires pour s'emparer des biens nationaux, de Le Bon, dénoncé pour ses exactions en Artois, et de Fouché, responsable des mitraillades à Lyon. Selon le témoignage de sa sœur Charlotte, lorsque ce dernier vint le voir à son retour de Lyon, Robespierre lui « demanda compte du sang qu'il avait fait couler et lui reprocha sa conduite avec une telle énergie d'expression que Fouché était pâle et tremblant. Il balbutia quelques excuses et rejeta les mesures prises sur la gravité des circonstances. Robespierre lui répondit que rien ne pouvait justifier les cruautés dont il s'était rendu coupable, que Lyon, il est vrai, avait été en insurrection contre la Convention nationale, mais que ce n'était pas une raison pour faire mitrailler en masse des ennemis désarmés »[173]. Il est néanmoins vrai de dire que Robespierre, considéré par de nombreux historiens comme le principal théoricien de la Terreur[174], participa à l'instauration d'un gouvernement révolutionnaire fondé à la fois sur les principes de vertu et de terreur, selon ses propres termes.

Certains députés comme Laurent Lecointre ont relativisé dès l'an III la responsabilité de Maximilien Robespierre dans la Terreur. De même, sous le Directoire, Reubell a confié à Carnot : « Je n'ai jamais eu qu'un reproche à faire à Robespierre, c'est d'avoir été trop doux[175]. » Par la suite, d'autres acteurs ou témoins, comme Napoléon Bonaparte, ont critiqué la thèse thermidorienne selon laquelle Robespierre était l'inspirateur de la Terreur puisque le phénomène avait cessé avec sa mort : « Robespierre, disait Napoléon en présence de Gourgaud et de Mme de Montholon, a été culbuté parce qu'il voulait devenir modérateur et arrêter la Révolution. Cambacérès m'a raconté que, la veille de sa mort, il avait prononcé un magnifique discours qui n'avait jamais été imprimé. Billaud et d'autres terroristes, voyant qu'il faiblissait et qu'il ferait infailliblement tomber leurs têtes, se liguèrent contre lui et excitèrent les honnêtes gens soi-disant, à renverser le « tyran », mais en réalité pour prendre sa place et faire régner la terreur de plus belle[176] ». De même, selon Las Cases, il le pensait « le vrai bouc émissaire de la révolution, immolé dès qu'il avait voulu entreprendre de l'arrêter dans sa course [...]. Ils (les terroristes) ont tout jeté sur Robespierre ; mais celui-ci leur répondait, avant de périr, qu'il était étranger aux dernières exécutions ; que, depuis six semaines, il n'avait pas paru aux comités. Napoléon confessait qu'à l'armée de Nice, il avait vu de longues lettres de lui à son frère, blâmant les horreurs des commissaires conventionnels qui perdaient, disait-il, la révolution par leur tyrannie et leurs atrocités, etc., etc. Cambacérès, qui doit être une autorité sur cette époque, observait l'Empereur, avait répondu à l'interpellation qu'il lui adressait un jour sur la condamnation de Robespierre, par ces paroles remarquables : « Sire, cela a été un procès jugé, mais non plaidé. » Ajoutant que Robespierre avait plus de suite et de conception qu'on ne pensait ; qu'après avoir renversé les factions effrénées qu'il avait eues à combattre, son intention avait été le retour à l'ordre et à la modération[177] ». Il n'empêche, Robespierre est entré dans la légende noire car cette thèse commode et infondée historiquement a trouvé une utilité auprès de quelques grands dictateurs des temps modernes qui se sont réclamés, et de Robespierre et de la terreur comme une nécessité (les « sévérités nécessaires » pour assurer le « salut public »)[178].

En fait, Robespierre n'avait ni les moyens ni le tempérament d'un dictateur et, selon des témoignages rarement mis en avant, il s'est opposé à un grand nombre de mesures de terreur – ou « terroristes » selon la terminologie du temps – que Barère, Collot d'Herbois et Billaud-Varenne, membres comme lui du Comité de salut public, cherchaient, pour des raisons diverses, à faire prévaloir. Il était hostile à l'autonomie grandissante, en l'an II, du Comité de sûreté générale qui, par le passé, s'était déjà discrédité[n 1]. Or, le Comité de sûreté générale, entièrement sous l'influence de Barère, de Collot d'Herbois et de Billaud-Varenne, en liaison étroite avec le Tribunal révolutionnaire, notamment ses juges et son accusateur public, fut le principal instrument de la Terreur puisque, plus que toute autre autorité, il a lancé la très grande majorité des mandats d'arrêt[179].

Le conventionnel Rouzet, englobé dans la proscription des députés emprisonnés comme complices des Girondins, expliqua comment il survécut grâce à Robespierre : « Ce fut lui, écrit-il, qui le 3 octobre 1793, empêcha que les soixante-treize (députés girondins) mis en arrestation fussent aussi accusés, malgré la demande, entre autres par Nicolas Osselin (…) Ce fut Robespierre qui repoussa les sanguinaires aboiements d'Hébert dans sa feuille du père Duchêne, et les hurlements, entre autres, de Dufourny à la tribune des Jacobins, tous également impatients de faire de ces (73) prévenus une hécatombe[180] ». Le même député rappela aussi que « Robespierre condamna l'absurde brutalité que déployait Hébert dans la procédure contre Marie-Antoinette. Il s'exaspéra tellement à ce sujet que, dans la violence de ses gestes, il brisa son assiette[181] ».

Parmi les « soixante-treize », d'ailleurs, plusieurs ont écrit à Robespierre pour le remercier de les avoir sauvés, comme les députés Hecquet, Quéinnec, Ruault, Saint-Prix, Delamarre, Blad et Vincent le 29 nivôse (18 janvier 1794)[182], ou pour lui demander de proposer une amnistie générale, comme Faure, député de Seine-Inférieure, le 19 prairial (7 juin 1794), veille de la fête de l'Être suprême[183] et Girault, député des Côtes-du-Nord, enfermé à la prison de la Force, le 26 prairial 1794[184].

De la même façon, le 20 messidor (8 juillet 1794), un ancien constituant qui a assisté aux mitraillades de Lyon et a été victime de la répression, écrivit à Robespierre, pour lui exprimer la joie qu'il éprouva en apprenant, par un ami sûr de retour de Paris, qu'il a blâmé la conduite de Collot d'Herbois dans cette ville[185].

Le 30 frimaire an II (3 décembre 1793), Robespierre proposa devant la Convention l'institution d'un comité de justice, qui allait dans le sens du « comité de clémence » réclamé par Camille Desmoulins dans le quatrième numéro du Vieux Cordelier (20 décembre), pour rechercher et élargir les patriotes injustement détenus. Toutefois, cette proposition fut rejetée le 6 nivôse (26 décembre), après un débat confus, devant l'opposition du Comité de sûreté générale, jaloux de ses prérogatives, et de Billaud-Varenne[186]. Aux Jacobins, lors de la séance du 29 ventôse (19 mars 1794), il s'opposa à la discussion sur les signataires des pétitions royalistes dites des 8 000 et des 20 000[187]. De même, il tenta en vain de sauver Madame Élisabeth, s'opposant ainsi à Hébert le 1er frimaire (21 novembre 1793) qui demandait notamment aux Jacobins « qu'on poursuive l'extinction de la race de Capet[188] », et, d'après le témoignage du libraire Maret, rapporté par le royaliste Beaulieu[189], affirma, après son exécution en mai 1794 : « Je vous garantis, mon cher Maret, que, loin d'être l'auteur de la mort de Madame Élisabeth, j'ai voulu la sauver. C'est ce scélérat de Collot d'Herbois qui me l'a arrachée. » Il tenta de la même façon de sauver l'ancien constituant Thouret, que l'on avait compromis dans la soi-disant conspiration des prisons, et, seul, refusa de signer le mandat d'arrestation[190].

Dans une brochure publiée au début de la Restauration, Ève-Demaillot[n 2], un agent du Comité de salut public, nommé en mai 1794 commissaire dans le Loiret, affirma y avoir été envoyé par Robespierre afin d'élargir les suspects arrêtés sur l'ordre de Léonard Bourdon, qui furent presque tous délivrés, et parmi eux « l'abbé Le Duc[191], fils naturel de Louis XV, prêt à aller à l'échafaud, [qui] dut la vie à Robespierre[192] ».

Enfin, le 9-Thermidor, Billaud-Varenne reprocha à Robespierre son indulgence, expliquant : « La première fois que je dénonçai Danton au Comité, Robespierre se leva comme un furieux, en disant qu'il voyait mes intentions, que je voulais perdre les meilleurs patriotes[193] ».

Or, pour le publicite royaliste Beaulieu, « il reste pour constant que les plus grandes violences depuis le commencement de l'année 1794, ont été provoquées par ceux-là mêmes qui ont écrasé Robespierre. Uniquement occupés, dans nos prisons, à rechercher dans les discours qu'on prononçait, soit aux Jacobins soit à la Convention, quels étaient les hommes qui nous laissaient quelque espoir, nous y voyions que tout ce qu'on disait était désolant, mais que Robespierre paraissait encore le moins outré[194] ».

Fin 1793, la majorité des Conventionnels continua à soutenir le Comité de salut public qui obtint ses premières victoires militaires, mais les luttes pour le pouvoir entre révolutionnaires s’exacerbèrent, dans un contexte de crise économique aggravée par la loi sur le maximum général. Ceux qui voulurent arrêter la Terreur, jugée inutile et dangereuse, autour de Danton et de Desmoulins, reçurent le surnom d’Indulgents. Ceux qui entendirent la radicaliser et l’étendre aux pays voisins, autour des dirigeants du club des Cordeliers, Hébert, rédacteur du Père Duchesne, le journal des sans-culottes, Vincent, secrétaire général du ministère de la Guerre, Ronsin, chef de l’armée révolutionnaire parisienne, avec l’appui de Commune, reçurent celui d’Enragés ou de Cordeliers (les historiens leur donneront après coup celui d’Hébertistes).

De la fin de novembre au milieu de janvier, il se forma comme un axe Robespierre-Danton pour combattre la montée des Hébertistes et la déchristianisation qui se déchaîna en novembre. Il semble que Danton ait espéré détacher Robespierre de la gauche du Comité (Billaud-Varennes, Collot et Barère) et partager avec lui les responsabilités gouvernementales. Les amis de Danton attaquèrent les leaders hébertistes avec l’approbation tacite de Robespierre et firent décréter d’arrestation par la Convention, le 17 décembre, Ronsin et Vincent, sans même en référer aux Comités. Cette offensive fut appuyée par le nouveau journal de Camille Desmoulins, Le Vieux Cordelier, qui obtint un grand succès. En même temps, les Indulgents passèrent à l’offensive : le 15 décembre, le Vieux Cordelier s’en prit à la loi contre les suspects.

Robespierre mit fin aux espoirs d’alliance de Danton le 25 décembre, après le retour de Collot de Lyon, accouru pour défendre les Hébertistes, et impliqua les deux factions adverses dans un même complot : « Le Gouvernement révolutionnaire doit voguer entre deux écueils, la faiblesse et la témérité, le modérantisme et l’excès ; le modérantisme qui est à la modération ce que l’impuissance est à la chasteté ; et l’excès qui ressemble à l’énergie comme l’hydropisie à la santé[195]. » À égale distance des factions, il condamna ceux qui voudraient voir la révolution rebondir ou rétrograder. Stratégie politique efficace qui lui donna une position de juge moral et d’arbitre et lui permettra de renforcer son contrôle du pouvoir et d’éliminer ses opposants.

Les deux factions se combattirent en vain pendant deux mois. À la fin de l’hiver, la situation économique catastrophique (attroupements devant les boutiques, pillages, violences) précipita le dénouement. Les Hébertistes tentèrent une insurrection qui, mal préparée, non suivie par la Commune, échoua. Le Comité fit arrêter les dirigeants cordeliers dans la nuit du 13 au 14 mars. La technique de l’amalgame permit de mêler à Hébert, Ronsin, Vincent et Momoro des réfugiés étrangers Cloots, Proli, Pereira, afin de les présenter comme des complices du « complot de l’étranger ». Tous furent exécutés le 24 mars sans que les sans-culottes ne bougent.

Le lendemain de l’arrestation des Hébertistes, Danton et ses amis reprirent l’offensive. Le numéro 7 du Vieux Cordelier, qui ne parut pas, réclamait le renouvellement du Comité et une paix aussi rapide que possible. Ce numéro, contrairement aux précédents, attaquait frontalement Robespierre, à qui il reprochait son discours prononcé aux jacobins contre les Anglais, le 11 pluviôse an II (30 janvier 1794) : vouloir, comme autrefois Brissot avec l'Europe continentale, municipaliser l'Angleterre. Mais Robespierre disposait contre les chefs des Indulgents d’une arme efficace, le scandale politico-financier de la liquidation de la Compagnie des Indes, dans lequel furent impliqués des amis de Danton. Le 30 mars, le Comité ordonna l’arrestation de Danton, Delacroix, Desmoulins et Philippeaux. Comme pour les Hébertistes, on amalgama aux accusés politiques des prévaricateurs et des affairistes, étrangers de surcroît, pour rattacher les accusés à la « conspiration de l’étranger ». Le procès, ouvert le 2 avril, fut un procès politique, jugé d’avance. Danton et ses amis furent guillotinés le 5 avril. Pour les Hébertistes comme pour les Dantonistes, ce fut Saint-Just qui se charga du rapport d’accusation devant la Convention, en utilisant et en corrigeant pour les Dantonistes les notes de Robespierre.

Après s'être opposé à la reconnaissance constitutionnelle de l'esclavage, proposée par Barère le 13 mai 1791, et au refus du droit de vote aux affranchis, présenté par Reubell le 15 mai suivant[37], Robespierre dénonça d'abord à l'assemblée constituante le 5 septembre 1791 le refus par les assemblées coloniales d'appliquer le décret, puis le 24, sa révocation ainsi que les concessions faites aux tenants du statu quo colonial, emmenés par le triumvirat et Moreau de Saint-Méry.

Alors que la régression feuillante de l'été 1791 parvenait à son aboutissement, les triumvirs réussirent à faire révoquer le décret du 15 mai 1791 relatif à l'état politique des gens de couleur dans les colonies, qui n'admettait pourtant que « les gens de couleur nés de père et de mère libres [...] dans toutes les assemblées paroissiales et coloniales futures », à condition qu'ils aient « les qualités requises ». Aussi, quand les Girondins firent voter à l'Assemblée législative un décret accordant – cette fois-ci définitivement – l'égalité des droits politiques entre les hommes de couleur et noirs libres et les colons blancs, le 28 mars et le 4 avril 1792, Robespierre leur en rendit grâce « au nom de l'Humanité » dans le no 3 du Défenseur de la constitution, le 31 mai[196]. Il désavouait ainsi le pamphlet Jacques-Pierre Brissot démasqué (février 1792) de Camille Desmoulins, son ami et allié dans le combat contre le bellicisme girondin. Camille Desmoulins avait reproché à Brissot sa politique coloniale, supposée diviser le mouvement patriote. En avril 1793, lorsqu'il rédigea son projet de déclaration des droits de l'homme, Robespierre associa, à la partie relative à un projet de limitation de la propriété privée, la suppression de la traite et de l'esclavage des Noirs, aussi scandaleux à ses yeux que la royauté et l'aristocratie terrienne. Il y désigna les navires négriers sous l'expression « longues bières », puisée à une brochure de Brissot publiée deux ans plus tôt, en février 1791, elle-même dérivée de l'expression de Mirabeau insérée dans un discours, prononcé au club des jacobins les 1er et 2 mars 1790 : « bières flottantes »[197]. Le 4 juin 1793, à la Convention, une source découverte récemment (une affiche du mulâtre martiniquais Julien Labuissonnière) indique que Robespierre et Jeanbon Saint-André ont aux côtés de « l'abbé Grégoire » (point précis que l'on connaissait) « tonné du sommet de la Montagne », pour faire passer par pétition l'abolition de l'esclavage réclamée par Anaxagoras Chaumette et le créole antiesclavagiste Claude Milscent[198].

En ce qui concerne les positions de Robespierre sur la question coloniale en l'an II, que Georges Hardy affirmait inexistantes dans les papiers de la commission Courtois[199], on y a récemment découvert des traces, ainsi que dans d'autres pièces d'archives. On avait pourtant l'impression, soulignée par des thermidoriens de gauche, qu'il était devenu hostile à l'abolition de l'esclavage en raison d'une phrase, d'inspiration colonialiste, prononcée contre les Girondins le 27 brumaire an II (17 novembre 1793) :

 

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