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Vendée Militaire et Grand Ouest
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21 février 2024

Marquet Albert

 

Clic pour voir sa généalogie sur la ligne en dessous

 

Albert Marquet

Albert_Marquet_(1875-1947),_c

Biographie
Naissance 27 mars 1875Voir et modifier les données sur Wikidata
BordeauxVoir et modifier les données sur Wikidata
Décès 14 juin 1947Voir et modifier les données sur Wikidata (à 72 ans)
ParisVoir et modifier les données sur Wikidata
Nom de naissance
Pierre Léopold Albert MarquetVoir et modifier les données sur Wikidata
Nationalité
françaiseVoir et modifier les données sur Wikidata
Formation École nationale supérieure des beaux-arts
École nationale supérieure des arts décoratifsVoir et modifier les données sur Wikidata
Activités
Peintre, dessinateurVoir et modifier les données sur Wikidata
Conjoint
Marcelle Marquet (à partir de 1923)Voir et modifier les données sur Wikidata
Autres informations
Mouvement
FauvismeVoir et modifier les données sur Wikidata
Maître
Gustave MoreauVoir et modifier les données sur Wikidata
Représenté par
Artists Rights SocietyVoir et modifier les données sur Wikidata
Genre artistique
PortraitVoir et modifier les données sur Wikidata
Influencé par
Henri MatisseVoir et modifier les données sur Wikidata
signature d'Albert Marquet
Signature

Issu d'un milieu modeste, il est encouragé par sa mère à se former à Paris, où il se lie particulièrement avec Henri Matisse. Solidaire du mouvement fauve, il ne se laisse guère influencer par les autres courants du postimpressionnisme et, dès les années 1910, rencontre un succès qui lui permet de vivre confortablement de son art. Grand voyageur, il parcourt la France, l'Europe, le Maghreb et jusqu'au Proche-Orient. À partir de 1920, il quitte chaque hiver Paris pour Alger, où il épouse en 1923 Marcelle Martinet (1892-1984), et où il passe la Seconde Guerre mondiale.

Hormis quelques portraits et natures mortes ainsi qu'un certain nombre de nus et surtout de dessins, Marquet se consacre à la peinture de paysages, naturels ou urbains, souvent représentés en surplomb, avec une forte présence de l'eau. Il peint sur le motif et ses sujets répétitifs font penser aux séries des impressionnistes. À l'inverse de ceux-ci en revanche, il les simplifie, soulignant les contours d'un trait sombre, et les traite en aplats de couleurs volontiers restreintes, tantôt éclatantes, tantôt neutres. Ceci n'exclut pas une grande maîtrise de la lumière. Sa technique visant à synthétiser les formes faisait déjà dire à Léon Werth qu'il cherchait à peindre non l'essence, mais l'essentiel.

Extrêmement abondante mais peu évolutive, l'œuvre se dérobe d'autant plus aux commentaires que son auteur, timide et taciturne, ne se livrait pas plus sur son travail que sur lui-même. Son indépendance et son refus de l'autorité, qui ont pu le faire passer pour autodidacte, interdisent tout classement, même s'il a longtemps été étiqueté comme « fauve modéré » ou « impressionniste tardif ».

Né au moment où les impressionnistes faisaient revivre la peinture de paysage, Albert Marquet disparaît en même temps qu'elle. Il a contribué à la transformer mais a été éclipsé en cela par Pierre Bonnard ou Raoul Dufy, d'où peut-être l'oubli relatif dans lequel est tombé celui qui déclarait en 1936 : « Je ne sais ni écrire ni parler mais seulement peindre et dessiner. Regardez ce que je fais. Ou je suis arrivé à m'exprimer ou j'ai échoué. En ce cas, que vous me compreniez ou pas, par votre faute ou par la mienne, je ne peux pas faire plus. »

Biographie

Photo sépia montrant des quais avec bâtiments bas, personnages, carrioles, tonneaux et, au fond, de grands voiliers sur l'eauAlbert Marquet est né à Bordeaux près des quais (vus ici vers 1900).

Marquet n'a rien écrit en dehors de lettres souvent laconiques mais les chercheurs disposent des archives de l'Institut Wildenstein, qui regroupent celles de sa famille et de la galerie Druet. Sa jeunesse reste mal connue jusqu'à ce qu'il vienne à Paris étudier la peinture : informations et témoignages se font alors plus nombreux, d'autant que sa femme a publié des récits de voyages et des portraits. Matisse le définit comme « un lutteur, solide en terre », malgré sa fragilité physique, et ses amis apprécient son jugement. À la fois inhibé et extrêmement sociable, il aime la distraction et s'avère d'un humour caustique : Marcel Sembat se le rappelle sur la défensive mais Jean Cassou note qu'il savait manifester sa gaieté par un clin d'œil ou un sourire, et André Rouveyre se souvient des piques qu'il lançait contre les gens ou les institutions « en trépignant doucement de plaisir »« Albert Marquet est à l'image de sa peinture : calme, modeste, sans emphase », et sa vie paraît aussi lisse que le personnage, sans autre mystère que sa propension au silence.

Jeunesse et débuts (1875-1906)

Pierre-Léopold-Albert Marquet naît officiellement le 27 mars 1875 au domicile de ses parents, 114 rue Pelleport à Bordeaux. Il est le fils unique de Joseph Marquet, employé des chemins de fer d'origine lorraine, et d'une girondine née Marguerite Deyres, âgés respectivement de 40 et 26 ans. Après une enfance difficile, ses études dans différentes écoles d'art parisiennes le mettent au contact de l'effervescence postimpressionniste et de ceux qui resteront ses amis les plus chers. La vie n'est pas facile pour un jeune artiste sans ressources mais Marquet va tracer sa voie, en marge du fauvisme.

Une vocation précoce
Portrait dans des teintes chaudes représentant une femme entre deux âges en train de coudre, tête baissée, un chat sur les genouxLa mère de l'artiste peinte par lui vers 1905-1906 (pastel sur papier, 61 × 50 cm, musée des Beaux-Arts de Bordeaux.

D'un tempérament plus secret que solitaire, Marquet enfant semble avoir trouvé dans le dessin un exutoire à « sa souffrance intime ».

Son enfance n'a pas été simple. Vif, la langue bien pendue, il est frêle et surtout affligé d'un pied bot qui le gêne pour courir et le fait moquer dans la cour de l'école. Sa myopie de surcroît n'est pas corrigée. Il s'évade dans le spectacle animé du port de Bordeaux, et du bassin d'Arcachon lors des vacances familiales au Teich ou à Arès (village de sa mère, où il garde les vaches). « Il avait beaucoup souffert de n'être pas comme les autres », assure sa femme, qui insiste aussi sur les difficultés matérielles du ménage : le port était pour lui un véritable refuge, se glisser entre les tonneaux ou les ballots de marchandise pour voir arriver et repartir les navires lui donnait l'impression de vivre ses seuls moments pleins et vrais. De là sans doute, ainsi que de souvenirs affectifs liés à sa mère, lui vient sa fascination pour l'eau, les bateaux, les quais.

D'autant moins enclin à l'étude que ses maîtres le prennent pour un sot, le garçon couvre ses cahiers de croquis et s'isole au calme pour dessiner. Marguerite, jugeant qu'il a des dispositions, décide de le soutenir dans cette voie. André Rouveyre rendra plus tard hommage au dévouement de cette mère dont Matisse appréciait aussi la bonté et la finesse.

Photo en noir et blanc montrant une rue animée bordée d'arbres et d'immeubles, avec sur la chaussée des passants et des voitures à chevalLa rue Monge, à Paris, début du xxe siècle.

En 1890, contre l'avis de son mari qui ne peut lâcher son emploi et ne croit guère au talent de son fils, elle s'installe dans la capitale avec l'adolescent, ouvrant grâce à la vente d'un lopin de terre une boutique au 38 de la rue Monge, « Jours et Broderies » ; tous deux logent au cinquième étage du même immeuble. Inscrit à l'École des Arts décoratifs, Albert y rencontre Géo Dupuis, Marcel-Lenoir et surtout, en octobre 1892, Henri Matisse. Celui-ci, de cinq ans son aîné, prend sous son aile le jeune provincial complexé, raillé pour son accent et surnommé « l'English » à cause de ses toutes nouvelles lunettes : c'est le début d'un long compagnonnage artistique et d'une amitié indéfectible malgré des périodes d'éloignement — ce qu'attestent quelque 200 lettres.

Matisse et Marquet quittent « les arts déco » lorsqu'ils intègrent — l'un après l'autre et non sans peine apparemment — les Beaux-Arts de Paris. De 1895 à sa mort en 1898, ils suivent l'enseignement sans contraintes de Gustave Moreau. Le vieux symboliste, vénéré par ses élèves, se définit comme un « passeur » : il cherche à faire éclore leur personnalité tout en les incitant à travailler la technique, et leur conseille d'observer le spectacle de la rue — méthode du croquis sur le vif alors en vogue — comme de se frotter aux grands maîtres. Marquet se rend régulièrement au Louvre pour y copier des tableaux de Titien, Poussin, Véronèse, le Lorrain, Chardine.

À l'atelier de Moreau, lui et Matisse se lient avec Henri Manguin et surtout Charles Camoin : ils resteront soudés jusqu'à la fin de leur vie. La camaraderie durera moins avec les autres (Jules Flandrin, Louis Valtat, Henri Evenepoel, Simon Bussy ou Georges Rouault), même s'ils ont passé des soirées à refaire le monde au Café Procope. Après un bref passage au cours de Fernand Cormon puis à l'Académie Julian, Marquet et Matisse fréquentent l'académie privée Camillo, rue de Rennes, où ils reçoivent les conseils d'Eugène Carrière, un des penseurs de l'Art social, qui cherche à populariser l'enseignement artistique en l'ouvrant sur la rue ; ils y croisent André Derain, Pierre Laprade, Jean Puy, Maurice de Vlaminck.

Dès cette époque Marquet ne cesse d'arpenter la ville en dessinant et peint en petit format des vues de la Seine, des quais, des ponts. Il commence à prendre sa revanche sur la vie, analyse Françoise Garciaf dans un article où elle relie ses choix esthétiques à sa rage rentrée, et qu'elle intitule en lui empruntant cette déclaration : « À 20 ans j'étais prêt à tout faire sauter ».

La bohème avec Matisse
Dessin à l'encre noire d'un homme en buste et de trois-quarts face, avec haut-de-forme et lorgnonMatisse en haut-de-forme (v. 1900, encre du Chine sur papier, 36,5 × 27,5 cm, musée André-Malraux).

Marquet partage avec Matisse dix années d'apprentissage — et de pauvreté.

Tous deux se sont attendris au soir de leur vie sur cette jeunesse où ils s'épaulaient dans un dénuement que Matisse, déjà marié et père de famille, dissimulait sous une façade respectable. « Nous n'avions pas de quoi nous payer un bock, raconte-t-il en 1925. Marquet était dans une telle misère qu'un jour je fus contraint de réclamer les vingt francs que lui devait un amateur. » Matisse se souvient qu'entre autres travaux alimentaires, ils s'étaient fait engager avant l'Exposition universelle de 1900 pour « brosser au kilomètre des guirlandes aux plafonds du Grand Palais » — tâche éreintante et sous-payée. Il semble aussi à l'origine de la rumeur selon laquelle Marquet se serait mis à peindre en gris parce qu'il n'avait pas de quoi s'acheter des couleurs, notamment les jaunes et les rouges de cadmium.

Malgré le caractère bougon de Joseph Marquet qui une fois retraité a rejoint femme et enfant, Albert suit ses parents dans leurs déménagements avenue de Versailles (1903) puis quai des Grands-Augustins (1905). Au décès de son père en 1906, il s'installe avec sa mère place Dauphine. Hormis quelques portraits de son entourage — ainsi une cousine qui loge quelque temps chez eux et aide à la mercerie —, il peint ce qu'il voit depuis les fenêtres, à l'abri des curieux. Quand il le peut, il loue une chambre de bonne ou d'hôtel en guise d'atelier : du 25 quai de la Tournelle il entreprend en 1902 des chevets de Notre-Dame, ainsi que des ponts et des quais ; du 1 rue Dauphine il poursuit en 1904 ses vues de la Seine ; une chambre occupée quelques mois quai du Louvre, en 1906, lui offre un panorama de la tour Eiffel à l'Île de la Cité. Depuis l'appartement de ses parents il représente le quai des Grands-Augustins et tantôt, à gauche, le pont Neuf et le Louvre, tantôt, à droite, le pont Saint-Michel et la cathédrale : les montrer par tous les temps et sous tous les éclairages lui a sans doute été inspiré par la série des Cathédrales de Rouen de Monet que Paul Durand-Ruel a exposée en 1904.

Durant cette période Marquet et Matisse travaillent toujours côte à côte, en cours, au jardin du Luxembourg, à Arcueil, à Saint-Cloud. Parfois réalisés au pastel mais dans des teintes vives, leurs paysages au tournant du siècle manifestent leur commune admiration pour Cézanne. Marquet ne tient pas en place et entraîne toujours Matisse dehors. Ils s'essaient à saisir le plus vite possible des scènes de rue, des personnages en plein mouvement : péniches, fiacres, cyclistes, passants pressés, blanchisseuses, chanteuses de café-concert — autant de croquis que Marquet met en réserve pour animer ses peintures. Il excelle dans ces exercices en noir et blanc où comptent l'économie du geste et la sûreté du trait : Matisse l'apparente plus tard aux « fous de dessin » japonais, Hokusai en particulier. Tous deux se retrouvent enfin chez Henri Manguin, seul à disposer d'un atelier où partager à plusieurs les frais d'un modèle : jusqu'à ce que Manguin la quitte pour Neuilly, tous les artistes marquants du début du xxe siècle auront fréquenté sa maison du 61 rue Boursault, dans le 17e arrondissement. Des toiles de 1904-1905 où ils se peignent mutuellement en train de peindre témoignent de l'émulation qui a fait de ce lieu l'un des creusets du fauvisme.

Sous la bannière fauve
Surface cartonnée beige rectangulaire orientée en hauteur. Imprimés dessus, des caractères et dessins, noirs et rougesCouverture du catalogue du Salon d'automne de 1905.

Le rôle prépondérant de Matisse dans le mouvement a occulté celui de Marquet, qui s'y est investi sans s'y engager à fond.

Parmi tous les courants du postimpressionnisme, le fauvisme émerge au tout début du xxe siècle pour s'éteindre dès les années 1910, non sans avoir révolutionné l'approche chromatique en peinture. Rejoints par d'autres, plusieurs anciens de l'atelier de Gustave Moreau, Matisse et Marquet en tête, entrent dès 1898 en dissidence contre les règles académiques en développant les principes suivants : formes simplifiées, couleurs pures cloisonnées et posées en aplats, détachées de la réalité, plus violentes que celles des nabis de la décennie précédente.

Tableau présentant dans une palette vive et claire un premier plan de végétation, puis une étendue d'eau, et au fond des collines boiséesVue d'Agay présentée au salon de 1905 (huile sur toile, 65 × 80 cm, musée national d'Art moderne).

À partir de 1901 Marquet expose avec les autres au Salon des indépendants, et Claude Roger-Marx salue bientôt son « autorité grandissante » parmi ces coloristes puissants inspirés tant par Cézanne que par les vieux maîtres. Dès 1902 Berthe Weill ouvre sa galerie de la rue Victor-Massé aux « élèves de Gustave Moreau », à commencer par Matisse et Marquet : tout comme Eugène Druet, elle s'est intéressée aux fauves avant même qu'ils gagnent leur surnom au Salon d'automne de 1905. Cette année-là, dans la salle VII du salon qui depuis deux ans offre leur chance à de jeunes artistes, cinq toiles de Marquet figurent parmi celles de Matisse, Derain, Vlaminck, Manguin et Camoin. Les formes et surtout les couleurs font scandale : Camille Mauclair a l'impression d'un « pot de peinture jeté à la face du public » et Marcel Nicolle de « jeux barbares et naïfs » d'enfants ; Louis Vauxcelles, mieux disposé, parle quand même d'« orgie des tons purs » et compare une statue d'Albert Marque placée au milieu de la salle à un « Donatello parmi les fauves ».

Conscient comme ses camarades qu'il leur faut une visibilité, Marquet est de toutes les expositions et de tous les comités organisateurs. Il ne suit pourtant pas Matisse dans ses explorations divisionnistes aux côtés de Paul Signac et André Derain, ni dans sa conceptualisation de la couleur comme vecteur d'expressivité : Matisse raconte même qu'un jour de 1903, son ami peignant avec lui au Luxembourg lui avait ironiquement demandé en voyant les couleurs de son tableau comment il ferait s'il avait un perroquet à y rajouter. Marquet, qui garde une approche réaliste, s'attache déjà davantage aux lignes et aux valeurs ; peindre à la manière fauve consiste pour lui à user de tons purs tout en opposant, selon Roger-Marx, « une sourde résistance à ce qu'il y a d'un peu forcé et de systématique dans l'exaltation colorée que cultivent ses camarades ». On lui reproche « un fauvisme assagi propre à plaire au grand public » (Gustave Coquiot), à ceux qui aiment « les fauves transformés en chats d'appartement » (Tériade).

À en croire un raccourci peut-être excessif de Vauxcelles, Marquet était entré dans la « cage aux fauves » « pour ne pas lâcher les copains […], son esthétique [étant] aux antipodes de la leur ». Il n'en est pas moins « enrôlé à tout jamais dans le mouvement ».

Chemins personnels
Tableau dans des tons clairs et lumineux avec angle d'immeuble au premier plan à droite, puis quai avec petits personnages, et au loin pont, immeubles, silhouette de cathédraleNotre-Dame, soleil (1904, huile sur toile, 73 × 60 cm, musée des Beaux-Arts de Pau).

Rebelle mais discret, Marquet manifeste son indépendance par ses silences mêmes, tout en restant proche de ses amis.

Il en va de ses liens avec le fauvisme comme de son attirance pour le japonisme, visible à travers sa concision formelle ou ses perspectives à vol d'oiseau : il s'en dégage rapidement en captant ce à quoi il a été sensible. De même il a été soumis à l'influence diffuse des milieux symbolistes teintés d'anarchisme, à travers ses maîtres Gustave Moreau et Eugène Carrière, ses aînés Odilon Redon ou Félix Vallotton, ou encore ses amis Maximilien Luce, Félix Fénéon, George Besson : il en retire surtout l'idée d'une peinture spontanée, sans filtre, qui se tienne éloignée de la culture classique comme des élaborations conceptuelles pour rester au plus près du réel et de l'émotion.

Tableau représentant en plongée et dans des tons neutres une rue animée bordée d'immeubles et semée de drapeaux où domine le rougeLe 14 juillet au Havre (1906, huile sur toile, 80 × 64 cm, musée Albert-André).

Réfractaire à toute autorité sans être militant, Marquet a noué des liens étroits avec les milieux libertaires des années 1890-1900 — ce qui ne l'empêchera pas de rejoindre dans l'entre-deux-guerres une gauche antifasciste plus classique. S'il n'a jamais clairement exprimé ses opinions, « il a un côté ni dieu ni maître, ni jury ni récompense », résume Sophie Krebs. Le critique d'art Emil Szittya ne lui prête pas la radicalité politique d'un Besson ou d'un Fénéon, mais un regard dont la bienveillance teintée d'ironie émane selon lui d'un même humanisme. Apollinaire disait d'ailleurs de Marquet en 1910 : « Ce peintre regarde la nature avec bonté. Il y a en lui un peu de la douceur de saint François. »

Dès le tournant du siècle Marquet s'est mis à prendre des vacances hors de Paris, en famille ou chez des amis, faute d'argent. En 1903 il séjourne en Normandie avec Henri Manguin et les siens, avant de sillonner la région en sa compagnie, de Falaise à Flamanville. L'été suivant il reste à Paris peaufiner une série de dessins destinés à illustrer Bubu de Montparnasse, roman de Charles-Louis Philippe, qu'il a peut-être rencontré en 1901 à La Revue blanche : ces illustrations, nées de leurs flâneries sur les boulevards, sont refusées par l'éditeur à la grande déception de Marquet et de l'écrivain.

C'est en 1905 que le peintre découvre la Côte d'Azur. Suivant l'habitude de certains artistes — tels Gauguin et Van Gogh — d'aller travailler dans le Midi en communauté, Henri Manguin a loué une villa près de Saint-Tropez : Marquet préfère un petit hôtel sur le port où il passe plus de temps au café qu'à peindre. Charles Camoin l'accompagne chez Signac comme auprès des prostituées du bar des Roses qu'ils font poser à l'occasion. Marquet part ensuite pour Nice et Menton, puis revient voir Cassis, Agay et Marseille : toute sa vie il s'est senti dans son élément au milieu de l'animation du port phocéen et de ses abords.

Toujours attiré par ailleurs, à l'instar des impressionnistes, par les eaux et les lumières normandes, il rejoint en juillet 1906 Raoul Dufy au Havre : ils peignent du balcon de leur hôtel les rues et maisons pavoisées pour la fête nationale et posent leur chevalet sur la plage de Sainte-Adresse ; en août ils se rendent à Honfleur, Trouville, Fécamp, Dieppe.

Les années 1905-1906 marquent un tournant : Albert Marquet commence à être connu et sort de ses difficultés financières. L'État, qui lui a acheté dès 1904 Les Arbres à Billancourt, récidive l'année suivante avec Notre-Dame, soleil et en 1906 avec Le Port de Fécamp. Invité cette année-là par l'historien d'art Élie Faure à participer au Salon belge de La Libre Esthétique, Marquet y recommande son ami Matisse. En marge des salons, les galeristes Berthe Weill, Eugène Druet et bientôt Bernheim-Jeune l'exposent parmi d'autres. Un contrat d'exclusivité signé avec Druet en 1905 et renouvelé en 1906 le met désormais à l'abri du besoin.

La reconnaissance (1907-1919)
Plaque claire tout en hauteur avec en rouge quantité de noms gravés sous ceux, en gros, de Matisse et Marquet.Marquet a peint là près de vingt-cinq ans.

Marquet peut désormais voyager loin, souvent avec des amis : il visite dans un curieux chassé-croisé les mêmes lieux que Matisse avant ou après lui. Le reste du temps il peint et sa notoriété augmente. Il participe à des expositions tant à Paris que dans d'autres capitales, même pendant la Première Guerre mondiale où il est démobilisé : « Continuez de peindre. Personne, dans ce domaine, ne peut vous remplacer », déclare le député collectionneur Marcel Sembat à Matisse et Marquet. Cette décennie est aussi celle de la liaison de celui-ci avec Yvonne, son modèle préféré.

Amis, amours et plaisirs

Albert Marquet ne travaille pas sans relâche : il aime s'amuser et a une vie sociale bien remplie.

En 1908 il reprend le bail du petit logement-atelier (un deux pièces-cuisine) libéré par Matisse en face de chez lui, au 5e étage du 19 quai Saint-Michel — son ami réemménageant au 4e en 1914. S'il fréquente régulièrement jusqu'à la Première Guerre mondiale les cours de croquis de l'Académie Ranson, il arrive à Marquet de s'ennuyer lorsque Matisse et par exemple Juan Gris se lancent dans des discussions abstraites sur l'art. Moins sérieux que son aîné — qui se soucie pourtant toujours de son jugement —, il se laisse plus facilement déconcentrer et tenter, selon ses propres termes, par des plaisirs de « célibataire libertin putassier » peu avouables devant Amélie Matisse : à Marseille notamment, il fréquente les maisons closes avec Camoin ou George Besson. Celui-ci lui a été présenté en mai 1910 par Francis Jourdain et leur amitié prend un tour vraiment intime à partir de 1917, pour ne cesser qu'à la mort de Marquet. Tous deux réussissent à entraîner Matisse dans leurs escapades méridionales en 1915 et en 1917.

Photographie en noir et blanc représentant assis tout proches l'un de l'autre sur un canapé un homme à tête ronde et à lunettes et une jeune femme blonde en robe longueAlbert et Ernestine-Yvonne vers 1910, quai Saint-Michel.

Durant l'hiver 1908-1909, Marquet renoue avec l'étude du nu délaissée depuis ses années d'École, en jouant de couleurs plus douces et d'ombres masquant partiellement les formes. Parmi ses modèles, Ernestine Bazin, dite Yvonne, est une jeune femme vive et délurée qui sait le faire rire. Bien qu'il ne semble pas éprouver beaucoup d'amour pour elle et que ses amis ne la tiennent pas en haute estime, ils resteront en ménage jusqu'en 1922 — Marquet conservant par ailleurs sa liberté. Elle lui inspire des toiles dont l'érotisme frontal où transparaît le désir du peintre rompt avec les poses plus convenues des modèles académiques.Dessin où est silhouettée en noir sur fond blanc une femme de dos enlaçant une autre personneDessin tiré de L'Académie des Dames.

En parallèle, Marquet tire des ébats auxquels il assiste dans les lupanars — hommes et femmes ou femmes entre elles — quelques tableaux (Les Deux Amies) et une série de dessins érotiques plus ou moins crus, réalisés à l'encre jusque dans les années 1920 : ils nourrissent les vingt estampes de L'Académie des dames, publié en 1930 avec un poème de Verlaine, ainsi que d'autres recueils circulant plus ou moins sous le manteau.

Marquet peint encore vers cette époque quelques portraits de proches mais préfère de loin le spectacle stimulant et infini que lui procurent ses promenades ou ce qu'il voit de ses fenêtres. Tombé amoureux de Paris, il aime rêvasser sur les bords de Seine ou à la terrasse des cafés ; Matisse lui reproche cette oisiveté bien qu'il sache l'artiste toujours à l'affût derrière le flâneur.

Marquet joue au billard, aux échecs — disputant avec Camoin des parties interminables —, et il n'est pas le dernier à faire la fête. Le 21 mars 1914 a lieu dans l'atelier de Van Dongen à Montparnasse un bal costumé mémorable : « Le déguisement est obligatoire pour les hommes. Les femmes sont priées d'être belles et peu vêtues », stipulait le carton d'invitation. George Besson se rappelle, parmi la foule d'artistes, écrivains, comédiens, sportifs ou individus louches, « Matisse, Marquet et Camoin, costumés en popes barbus, dansant à la cosaque, vociférant et enlevant leur robe pour apparaître en maillot rose avec des muscles mal placés, des touffes de poils arbitrairement distribuées, et […] des inscriptions désignant d'effroyables infirmités ».

Marquet a trente-neuf ans lors de la déclaration de guerre : il est mobilisé puis réformé pour raison de santé. Il vit les angoisses de l'automne 1914 en compagnie de Matisse. Déambulant au Quartier latin avec Van Dongen, ils se sentent inutiles, s'inquiètent du sort de leurs amis partis au front et s'organisent pour leur adresser des colis de nourriture et de vêtements, en plus d'un courrier abondant. En 1915 Marquet aide dans la mesure de ses moyens des anciens des Beaux-Arts en permission. Lorsqu'ils quittent Paris, lui et Matisse se relaient pour revenir veiller sur leurs ateliers respectifs. En novembre 1918, tous les camarades fêtent ensemble dans la capitale la fin des hostilités.

Voyages

Marquet se découvre voyageur insatiable — même s'il travaille alors plus irrégulièrement.

En mai 1907, Marquet, Charles Camoin et Othon Friesz explorent Londres avec beaucoup d'excitation. Mi-juillet, un second séjour de Marquet — logeant à Soho, il se débrouille sans parler anglais — est interrompu au bout de quelques jours : le jeune homme doit rentrer au chevet de sa mère, qui s'éteint au Teich le 25 août. Très affecté, il descend travailler à Ciboure et Saint-Jean-de-Luz. L'année suivante il visite l'Italie avec Henri Manguin, poussant jusqu'à Rome puis Naples ; il s'arrête entre autres à Fiesole où se trouvent Paul Signac mais aussi Leo et Gertrude Stein, défenseurs de l'art moderne et en particulier du fauvisme. Au retour Marquet va voir Camoin à Cassis avant de se reposer de la chaleur dans un hôtel de Poissy. La vieille cité médiévale industrialisée au xixe siècle a gardé son charme et ses guinguettes, lui suggérant plusieurs esquisses et toiles de petit format. Par temps gris il pêche à la ligne avec Matisse venu le rejoindre. Tous deux décident de passer une semaine à Dakar avant le Salon d'automne.

Pendant les premiers mois de l'année 1909, Marquet est à Hambourg où Matisse lui a fourni des contacts : froid, pluie et neige ne l'empêchent pas de peindre ni de dessiner mais il préférera pour les hivers à venir son atelier parisien. Il visite dans la foulée les musées de Berlin, Dresde et Munich. Rentré très fatigué, il repart néanmoins dès le mois de juin pour Naples — où il fait l'ascension du Vésuve — et la Sicile, puis en septembre pour Tanger, avec l'écrivain Eugène Montfort ; en revenant ils font halte à Séville. En 1910, une grippe lui ayant gâché un nouveau séjour à Londres, Marquet passe l'été auprès de Manguin puis de Friesz dans une villa louée à Villennes-sur-Seine, près de Poissy. Il se rend ensuite avec Matisse en Bavière et en Autriche.

Opéré d'une hernie en novembre 1910, Marquet garde la chambre un mois et reprend la peinture de nu pour se ménager, d'autant qu'il est, selon ses propres dires, « toujours entre les rhumes et les rhumatismes » : il ne se risque à retravailler dehors qu'à partir d'avril 1911, d'abord à Paris où il peint l'Église de la Trinité, puis à Conflans-Sainte-Honorine, Le Havre, Honfleur. Mais dès le mois d'août il parcourt le Maroc à cheval avec Monfort, entre Tétouan, Fès, Rabat et Casablanca. Il n'en rapporte que quelques gouaches, déclarant à Matisse : « Je ne serai jamais un orientaliste ». Il n'en retourne pas moins deux ans plus tard dans le sud du Maroc, toujours avec Montfort. Ses escapades de 1912 et 1913 ont eu sinon pour cadre la Normandie (Rouen qu'il affectionne même par temps gris), le Midi (Marseille, Toulon), et l'Île-de-France (Champigny-sur-Marne, La-Varenne-Saint-Hilaire, Samois, Villennes-sur-Seine).

En mai 1914 Marquet séjourne à Rotterdam, d'où il se rend à La Haye contempler les œuvres de Rembrandt et Vermeer. La guerre va freiner ses déplacements. Fin août 1914 Matisse et lui partent à Collioure, puis à Céret avec Étienne Terrus et Juan Gris, où ils rencontrent le sculpteur Manolo Hugué ; l'inquiétude les fait remonter à Paris dès novembre. Après cela — hormis en avril 1917 un voyage à Barcelone et aux Baléares où il semble s'être amusé sans beaucoup travailler —, Marquet passe toute la guerre soit avec Besson soit avec Matisse, entre Paris qu'il fuit lors des bombardements, diverses bourgades de la région parisienne, et Marseille où il occupe l'appartement de Montfort, quand il ne s'installe pas à l'Estaque.

Les succès du peintre
Photo en noir et blanc d'un gros bâtiment d'angle à gauche, sur une place avec des passants, et des colonnes à droiteGalerie Bernheim-Jeune, 1910.

L'engouement que suscitent les œuvres d'Albert Marquet se manifeste par l'intérêt croissant des collectionneurs et des expositions en France ou ailleurs.

Marquet continue à participer durant toutes ces années au Salon d'automne et au Salon des indépendants. Il est souvent exposé avec d'autres dans les galeries de Berthe Weill, Bernheim-Jeune, Eugène Blot — qui l'associe à Camille Claudel en novembre 1907. Eugène Druet le range dans le troisième des quatre groupes d'artistes mis en valeur lors de son « Exposition annuelle », et l'inclut dans les peintres dont il montre les dessins et les aquarelles en janvier 1912 : le critique René-Jean compare les paysages à la plume de Marquet « aux belles sépias de Nicolas Poussin ».

Peinture montrant des barques et des voiliers sur l'eau, avec au fond deux mamelons montagneuxLe Port de Naples (1909, huile sur toile, 63,5 × 76,5 cm, musée des Beaux-Arts de Besançon).

Le Cercle de l'art moderne du Havre, où ses œuvres sont accrochées régulièrement depuis 1906, devient aussi l'un des lieux favoris de Marquet, qui sera en outre représenté dans la section artistique de l'Exposition internationale de Lyon entre mai et novembre 1914.

En 1907 Druet lui a offert sa première exposition monographique : trente-neuf toiles étaient visibles en février rue du Faubourg-Saint-Honoré ; cinquante-trois le sont dans la galerie de la rue Royale en mai 1910 et quarante-sept encore en avril 1913, lui attirant des éloges dans Le FigaroGil Blas ou Comœdia.

Les manifestations artistiques se raréfient durant la guerre mais Marquet expose en mars 1916 au Jeu de paume, pour le Salon de la Triennale, et offre des peintures pour des expositions-ventes au profit des artistes ou des victimes de la guerre. C'est là qu'en 1917 Claude Monet lui achète Le Port de Naples, l'invitant de façon pressante à lui rendre visite à Giverny avec Matisse.

Les œuvres de Marquet plaisent également à l'étranger. Après une exposition itinérante de mars à novembre 1907 (Vienne, Budapest, Prague), elles sont montrées au printemps suivant lors de plusieurs manifestations à Liège, Moscou (Galerie Tretiakov) et Berlin — dans le cadre de la Sécession à qui il enverra de nouveau des toiles de 1911 à 1913. À partir de 1909 il figure dans maintes expositions collectives internationales : Saint-Pétersbourg (à l'initiative notamment de la revue Apollon), Kiev, Riga, Odessa, Prague, Cologne, Londres, Bruxelles, Winterthur, Gand (pour l'exposition universelle de 1913), et enfin, grâce à l'entremise de Druet, New York, Boston et Chicago (pour l'« Armory Show » se déroulant de février à mai 1913). Au printemps 1916, Walter Halvorsen, ancien peintre devenu marchand d'art, se fait guider par Matisse et Marquet, dont il a visité l'atelier, pour choisir des œuvres d'artistes variés à rapporter en Norvège.

Peinture représentant une chaussée bordée d'arbres et des silhouettes de bâtiments ensoleillés, avec un jeu d'ombres

Marquet a vendu en 1907 quelques toiles à Daniel-Henry Kahnweiler, marchand du collectionneur russe Ivan Morozov ; celui-ci est également conseillé par Ambroise Vollard, Durand-Ruel et Druet, ces deux derniers étant par ailleurs en relation avec Sergueï Chtchoukine : le peintre vend ainsi à chacun de ces grands amateurs russes d'art moderne un bon nombre d'œuvres entre 1908 et 1913. Attristé par le décès subit d'Eugène Druet en janvier 1916, il voit son contrat reconduit pour trois ans par sa veuve et en signe un autre avec Bernheim-Jeune.

Début 1918 puis derechef au printemps 1919 où Marquet est descendu à Nice soigner une mauvaise grippe, Matisse l'accompagne à Cagnes-sur-Mer chez Renoir et ils font des excursions dans l'arrière-pays. Marquet achève de se remettre en passant l'été à peindre mais aussi à nager, pêcher, canoter ou se promener à Herblay-sur-Seine. De nouveau grippé à la fin de l'année 1919, il décide sur les conseils de son médecin et ami Élie Faure d'aller chercher le soleil en Algérie.

Entre Paris et Alger (1920-1939)
Photo coloriée d'un quai et d'une rade avec navires, entourés de bâtiments blancsAlger vers 1900 : le port et l'Amirauté. Photographie colorisée anonyme, conservée à la Bibliothèque du Congrès, Washington.

Albert Marquet fait à Alger la connaissance de Marcelle Martinet, une pied-noir : mariés trois ans plus tard et fixés à Paris, ils retournent en Algérie presque chaque année jusqu'à la Seconde Guerre mondiale. Ils voyagent aussi beaucoup ailleurs à l'étranger, sans dédaigner pour autant les villégiatures qu'offre l'hexagone, notamment, sur la fin, La Frette-sur-Seine que le peintre adore. Déchargé par sa femme des soucis d'ordre matériel, il a tout le loisir de travailler : les années 1930 marquent sa consécration.

Une heureuse union[modifier | modifier le code]

« Il avait horreur comme d'un mensonge de ce qui prenait l'apparence du définitif », écrit Marcelle Marquet : l'artiste n'a cependant plus quitté l'amie et la compagne qu'il avait trouvées en elle à quarante-cinq ans.

En janvier 1920 Marquet débarque à Alger muni de lettres de recommandation. Sa venue a été annoncée par la femme de Druet à Louis Méley, industriel collectionneur d'art : si Marquet prend ses quartiers dans un meublé puis au « Royal Hôtel » d'où il domine le port et la baie, Méley le reçoit à sa table, lui prépare des excursions et lui fait rencontrer les étudiants de la Villa Abd-el-Tif, sorte de Villa Médicis où le peintre se lie d'amitié avec le jeune Jean Launois dont il admire les dessins. C'est pareillement par courrier qu'il est introduit auprès de Marcelle Martinet, née à Boufarik vingt-huit ans plus tôt.

L'artiste sympathise d'emblée avec cette jeune femme fine et cultivée qui a des talents de conteuse. Elle lui sert de guide dans la ville et la Casbah d'Alger avant qu'il ne fasse — peut-être pour fuir les assiduités d'une certaine Adèle — un circuit de deux semaines dans le Sahara, dont il revient ébloui. Rentré en France fin mai, il entame durant l'été une correspondance avec Marcelle, depuis La Rochelle où il a rejoint Signac : elle a su gagner la confiance de cet homme timide qui se livre difficilement.

Marquet retourne en Algérie l'hiver suivant et poursuit sa découverte des villes et oasis nord-sahariennes (Laghouat, Ghardaïa et le Mzab, Biskra, Touggourt) par un circuit en train ou en bus avec Jean Launois et Marcelle, qui parle un peu arabe. Le jeune peintre lui ayant vanté les Sables-d'Olonne, Marquet s'y installe tout l'été avec Yvonne et travaille beaucoup, entre autres à des vues de La Chaume. Il passe son permis de conduire et s'achète une Ford au volant de laquelle il sillonnera désormais les routes « avec maladresse et témérité »Début 1922, dans le Sahara, les randonnées à dos de chameau en compagnie de Launois et Marcelle les conduisent jusqu'en Tunisie. De retour à Paris, Marquet peint des vues de Notre-Dame. Il se décide à rompre avec Yvonne à la fin de l'année.

Peinture représentant au premier plan à droite un pan de maison, dominant une baie avec la mer et une ville assez floue

Portrait en buste d'une femme de face, l'air calme, la bouche large, les cheveux bruns mi-longs et légèrement crantésPortrait de Marcelle par Marquet (1931, huile sur toile, 61 × 50 cm, musée des Beaux-Arts de Bordeaux).

Le mariage d'Albert Marquet et Marcelle Martinet est célébré à Alger le 10 février 1923 et ils prolongent à Sidi Bou Saïd leur voyage de noces tunisien. Lorsqu'ils arrivent à Paris fin octobre après un détour par Grenoble et la Bourgogne, ils habitent le petit logement inconfortable du quai Saint-Michel. Ils ne le quittent qu'en 1931, pour un vaste appartement dominant le Pont Neuf à l'angle de la rue Dauphine et du quai des Grands-Augustins — là même où Marquet jeune avait loué dans un hôtel démoli depuis. Au notaire qui lui demande pourquoi un tel achat, alors qu'ils n'ont aucun apport, Marquet répond : « À cause des fenêtres… sans penser une seconde, ajoute sa femme, que cette raison fournie, évidente pour lui, pût paraître surprenante à quelqu'un d'autre ». Il ne cessera plus de peindre le Pont-Neuf et les quais depuis les angles que lui offrent les fenêtres de façade.

L'emménagement se fait fin août après des mois de travaux. L'artiste a tenu à décorer lui-même la salle de bain de paysages maritimes vus au cours de ses voyages, en imitant les azulejos. Dans l'atelier de son ami le céramiste Josep Llorens Artigas à Charenton, il peint les carreaux de 30 × 30 cm qui sont regroupés dans les panneaux centraux ou les entourent tels une frise.

Marcelle Marquet gère bientôt de façon avisée la carrière de son mari (négociation de contrats, organisation d'expositions, vente d'œuvres) ainsi que la correspondance qui lui a toujours pesé : il se réserve le courrier aux intimes, à Matisse en tout cas. Elle s'entend très bien avec les épouses de ses meilleurs amis, qu'elle tient informées des déplacements du couple. Ses propres projets littéraires prennent forme en association avec lui : ainsi paraît en 1925 chez Georges Crès, sous le pseudonyme de Marcelle Marty, un récit intitulé Moussa, le petit noir, agrémenté de dix-huit dessins en noir et de cinq aquarelles signés Albert Marquet.

Marcelle s'est toujours accommodée du caractère renfermé voire déroutant d'Albert. « Il prenait place parmi les autres, heureux qu'on ne l'en distinguât pas, conscient sans doute qu'en attirant l'attention sur lui, il aurait perdu l'espace et la liberté qui lui étaient nécessaires », analyse-t-elle en 1951 dans la préface de son premier ouvrage sur lui. De même l'avait-elle parfaitement compris lorsqu'il lui avait répondu, un jour où elle s'inquiétait à l'idée que sa présence constante pût le gêner : « Non, avec toi je peux être seul. »

Peindre et voir le monde

Albert et Marcelle Marquet partagent le même besoin de bouger. « Baroudeur discret » prêt au plus grand inconfort, le peintre cherche dans les voyages, d'après sa femme, à fuir les importuns, à vivre sans obligation, et à aiguiser son sens de l'observation.

Alger et l'Afrique du nord

Pendant près de vingt ans, sauf en 1931 et 1938, les Marquet prennent leurs quartiers d'hiver en Algérie.

Peinture montrant un paysage avec un premier plan de végétation en surplomb, puis des maisons et au fond une baie arrondie sur la merLa Baie d'Alger (1932, huile sur toile, 65,5 × 81 cm, coll. privée).

« Marquet savait que j'étais très attachée à mon pays et que les motifs à peindre ne lui manqueraient pas », écrit Marcelle qui a besoin de se ressourcer périodiquement en Méditerranée. Ils partent d'ordinaire entre décembre et janvier : quand ils n'embarquent pas de Marseille, ils traversent l'Espagne et le Maroc, toujours en voiture, une Buick à partir de 1926, puis de nouveau une Ford après 1930 ; les trajets sont entrecoupés de haltes touristiques plus ou moins longues.

Peinture représentant en son milieu une bande de terre avec des maisons devant des collines qui se reflètent dans l'eauLe Lac de Tunis (1926, huile sur toile, 60,5 × 81 cm, coll. privée).

Les époux s'arrêtent d'abord plusieurs semaines à Alger, dont Marquet peint inlassablement les monuments, les paysages alentour, et surtout le port. Ils logent à l'hôtel ou dans des villas louées — n'achetant qu'à l'automne 1940 une maison sur les hauteurs. De là ils peuvent choisir de se rendre ailleurs en Algérie, ou dans les protectorats du Maroc et de Tunisie.

Ainsi en 1925, Marquet passe deux mois dans le port de Bougie avec Jean Launois et d'autres peintres de la Villa Abd-el-Tif (Étienne Bouchaud, Marius de Buzon, Eugène Corneau), faisant avec eux des excursions vers Laghouat, Ghardaïa, Bou Saâda. Début 1926 il loue plusieurs semaines une maison sur le port de La Goulette : il s'y plaît plus qu'à Carthage où il n'y a, dit-il, « pas de premier plan, à peine de quoi faire trois ou quatre tableaux ».

L'hiver 1929 le voit repartir dans le Sahara algérien, qui lui inspire des dessins et aquarelles. En 1934 il représente Alger sous la neige mais la quitte pour s'adonner aux plaisirs du ski. C'est cette année-là et la suivante que lui et Marcelle visitent plus à fond le Maroc, séjournant notamment à Marrakech et à Rabat, où est mise à leur disposition une maison avec terrasse ouverte sur la Kasbah des Oudayas et l'embouchure du Bouregreg. Il peint Le Port de Rabat. En mars 1939 ils explorent le massif de l'Aurès.

Les autres années, du moins celles des grands voyages ailleurs dans le monde, ils demeurent à Alger : Marquet se contente par exemple en 1927 de peindre le port et la place du Gouvernement depuis son balcon de l'hôtel de la Régence.

Rivages français et boucles de la Seine
Peinture représentant une grande étendue d'eau avec quelques bateaux et derrière des maisonsLe port d'Audierne, 1928, coll. privée.

En métropole, souvent avec des amis, les Marquet sont sans cesse par monts et par vaux, presque toujours au bord de l'eau, mer ou fleuve.

Certains étés sont prévues de spacieuses locations pouvant accueillir la famille de Marcelle. Les grandes vacances de 1929, par exemple, se passent en jeux, baignades, promenades en barque et parties de pêche sur l'île de Migneaux, près de Poissy ; de même celles de 1931 à Triel-sur-Seine — où viennent aussi Artigas, le sculpteur Pablo Gargallo et, en voisins, Pierre Bonnard et Paul Fort ; de même encore celles de 1935 au Pyla-sur-Mer, sur le bassin d'Arcachon. Sinon, et le reste de l'année, le couple choisit quelque port ou station balnéaire sur l'Atlantique ou la Méditerranée.

Peinture représentant une terrasse herbeuse devant des arbres, surplombant un fleuve et des maisons ou des bâtiments industriels, avec fuméeCanteleu, près de Rouen. Après-midi de soleil (1927, huile sur toile, 50 × 61 cm, coll. privée).

Les trajets laissent toujours place à l'imprévu : « Je me souviens de nos beaux départs, écrit Marcelle : dix, douze, quinze valises, caisses et paquets alignés dans le couloir dans l'attente du chargement. Munis d'un itinéraire Michelin bien étudié, sollicités par un appel quelconque, un bois, une rivière […] ou un petit chemin s'en allant dans les arbres en fleurs, nous changions de direction et nous nous retrouvions à Sète après avoir traversé par surprise la Bretagne et la Vendée, alors que nous étions partis pour Cahors. » C'est précisément ce qui se passe au printemps et à l'été 1924, tantôt avec Henri Manguin, tantôt avec Jean Puy. De même en 1926, à peine rentrés de Tunisie via les Baux-de-Provence, ils parcourent entre l'été et l'automne toute la région d'Hendaye.

Peinture représentant un jardin avec massifs et pins ouvrant au fond sur la mer par une barrière de bois où se tient une femmeLe jardin au Pyla (1935, huile sur toile, 65 × 81 cm, coll. privée).

Saint-Jean-de-Luz en 1927, Audierne en 1928, Boulogne-sur-Mer en 1930, en 1932 la Bretagne encore et le Pays basque espagnol, en 1933 Les Sables-d'Olonne, en 1935 Le Havre puis Nice, auprès de Matisse, Dieppe en 1937, le Midi plusieurs fois en 1938 et les Îles d'Hyères l'année suivante : le tropisme des Marquet les porte vers la mer plusieurs mois par an et le peintre en rapporte des moissons de toiles.

Peinture montrant un fleuve allant vers des collines boisées dans la profondeur du tableau et bordé à droite d'une petite route et de quelques maisonsBords de Seine à La Frette (date ?, huile sur isorel, 33 × 41 cm, coll. privée).

Il reste qu'il ne peut se passer de la Seine. Elle « était pour lui le seul fleuve français, affirme sa femme, elle avait des bateaux. Je l'ai vu s'ennuyer sur les bords de la Loire, parce qu'il ne passait rien sur l'eau, une pauvre petite barque de pêcheur de temps en temps, pas de quoi animer un paysage immense et mélancolique ». En mai 1927 entre autres, après une croisière, les Marquet séjournent en Normandie : à Vieux-Port, ils font des promenades en forêt et des parties d'échec avec Charles Camoin et sa femme, avant de se replier dans un hôtel de Canteleu d'où Marquet, en dépit du mauvais temps, peint le port, les yachts et les flèches de la cathédrale de Rouen.

Dix ans plus tard, séduit par les méandres du fleuve en Seine-et-Oise, il loue pour deux ans une petite maison dans le village de Méricourt : il vient s'y reposer et travailler au bord de l'eau ou à la fenêtre, au-dessus du jardin fleuri de roses trémières. C'est en 1938 que le peintre André Barbier lui propose une bicoque à La Frette-sur-Seine, qui a attiré dès le xixe siècle les artistes comme les bourgeois : elle est située au pied des coteaux, près du chemin de halage où passent les péniches. Ayant fait faire des travaux, les Marquet l'occupent à compter de l'année suivante.

« C'est peut-être dans cette modeste maison de La Frette, estime Marcelle, qu'Albert se sentait le plus chez lui. Son atelier, bien isolé dans le grenier, dominait une boucle de la Seine, son fleuve… Nos amis venaient dans la maison… Albert s'y sentait à l'aise et comme à l'abri ».

Autres horizons

Albert et Marcelle Marquet, à l'occasion parfois d'une exposition, effectuent plusieurs grands voyages en Europe et autour de la Méditerranée.

Peinture montrant une vaste étendue d'eau verte, avec maisons et monuments au fond, et au milieu un gros navire avec deux cheminées rougesVenise - Le paquebot (1936, huile sur toile, 38 × 55 cm, coll. privée).

Début juin 1925, répondant à une invitation de Walter Halvorsen, ils partent pour la Norvège avec le peintre Pierre Deval et son épouse : ils en reviennent fin septembre après avoir visité Stockholm et ses musées. Cap sur l'Espagne avec les Camoin en 1930 (Cadix, Algésiras), et sans eux en 1932 (Roncevaux, Santander, Compostelle, plus le Portugal). En 1936 les Marquet découvrent la Suisse (Lausanne, Davos, Zurich), qui inspire au peintre une série de toiles sur les stations de sport d'hiver, puis ils s'installent à Venise de juin à septembre : ils terminent par un périple entre Vérone, Mantoue, Ravenne, Bologne et Gênes. L'année suivante ils séjournent à Genève et à Montreux, d'où Marquet peint le lac Léman ; et celle d'après à Amsterdam — où ils nouent peu de relations mais visitent les musées —, avant deux mois à Stockholm où le peintre travaille intensément et dont il rentre en passant par Copenhague.

Peinture représentant un fleuve avec arbres au premier plan, une petite voile blanche, et au fond quelques collines et bâtimentsAssouan le matin (1928, huile sur toile, coll. privée ?).

Leur première croisière, de mars à mai 1927, les mène jusqu'au Proche-Orient selon un itinéraire que les carnets de dessins et d'aquarelles du peintre permettent de retracer : Naples, Palerme, Le Pirée, Lesbos, Constantinople, Jérusalem, Beyrouth. Au début de l'année suivante, Marquet est invité au Caire pour l'exposition « Art français, 1827-1927 ». Promenades à dos d'âne et cocktails mondains où les escortent Jean Guiffrey, conservateur au musée du Louvre, et Georges Duthuit, historien d'art gendre de Matisse, font fuir les deux époux : le peintre se remet à travailler à Assouan, d'où ils descendent le Nil pour rallier Alger. En avril 1933 ils entreprennent une longue croisière de la mer Égée à la mer Noire, naviguant ensuite sur le Danube en Roumanie.

Enfin, au cours de l'été 1934, ils embarquent à Londres avec tout un groupe d'intellectuels français sur un navire soviétique en partance pour Léningrad : encadrés par des guides officiels, fêtés par des artistes soviétiques, menés dans des musées — où Marquet est photographié devant ses propres toiles —, ils traversent l'URSS en faisant étape à Moscou, Kharkov, Rostov, Tiflis et Batoum. Ils gardent un excellent souvenir de ce voyage qui s'est fini par un tour en Méditerranée sur un paquebot italien.

Entre chaque voyage Marquet revient à ce qu'il a toujours préféré peindre à Paris : la Seine, ses berges, ses ponts, les monuments qui la bordent. L'hiver 1928 par exemple, il travaille les effets de neige et de glace sur la Seine dans une série de vues de la pointe de l'Île Saint-Louis.

Une renommée certaine

La cote de Marquet augmente entre 1920 et 1940 : ses toiles sont fréquemment montrées au public à l'étranger comme en France, et ses deux principaux marchands lui restent fidèles car ses œuvres se vendent bien.

Druet et Bernheim renouvellent périodiquement le contrat de Marquet, qui par exemple en 1925 s'engage pour deux ans à leur vendre respectivement les deux-tiers et le tiers de sa production. Une à plusieurs fois par an ils proposent ses œuvres seules ou avec celles d'autres artistes, imités en cela par d'autres galeristes parisiens.

Parmi les manifestations auxquelles participe Marquet peuvent être mentionnées : « L'Exposition annuelle (IIIe groupe) » qui se poursuit chez Druet et l'« Exposition d'art décoratif contemporain » organisée à partir de 1923 par le musée des Arts décoratifs ; « Soixante nus » en mai 1921 chez Bernheim-Jeune, « Les Peintres de l'eau » chez Marcel Bernheim en janvier 1924, et au printemps une exposition au profit de la Société des Amis du Luxembourg ; en 1926 un Salon des peintres de la mer et une exposition chez Georges Petit à l'occasion du centenaire de la naissance de Gustave Moreau ; tous les Salons d'automne et en particulier son jubilé fin 1928 ; le Salon du Sud-Est à Lyon et « Les fauves - L'atelier Gustave Moreau » à la galerie de la revue Beaux-Arts en 1934 ; ou encore, en 1937, « Albert Marquet, Charles Camoin » à la galerie Mignon-Massart de Nantes et « Les Maîtres de l'art indépendant, 1895-1937 » de juin à octobre au Petit Palais, avec 37 toiles de Marquet. Sans compter, durant toute cette période, des expositions collectives à Alger.

L'éditeur d'art Georges Crès publie en 1920 la première monographie sur Marquet, due à son ami George Besson et suivie en 1922 par celle de François Fosca dans la collection « Les Peintres français d'aujourd'hui » de la NRF. Le peintre expose seul à plusieurs reprises à la galerie Druet. Celle-ci montre en décembre 1923 une importante série de toiles d'Afrique du Nord, et à l'automne 1925, 117 œuvres représentatives de son travail depuis 1901. En avril 1928 est inaugurée l'exposition « Albert Marquet - Œuvres récentes, 1926-1928 » (50 paysages), et en juin 1934 une autre rétrospective, soit plus de 50 tableaux des quatre dernières années. Fin 1936, sur ceux que comporte l'exposition « Venise par Marquet », une trentaine s'envolent très rapidement. La galerie Bernheim-Jeune organise à son tour une rétrospective Marquet à la fin de l'année suivante, où la galerie de l'Élysée lui est également réservée.

Peinture représentant dans le noir un pont éclairé avec des voitures, et au fond un grand bâtiment illuminéLe Pont-Neuf, la nuit (1935-1936, huile sur toile, 82,5 × 100,5 cm, musée national d'Art moderne).

En Europe Albert Marquet a les honneurs de la Biennale de Venise à partir de 1920 : représenté par quinze toiles en 1926, il y sera en 1936 le principal artiste français. Certaines de ses œuvres sont envoyées à Wiesbaden en 1921 (« Art français en Rhénanie »), dans une galerie londonienne en 1932 (trente toiles), à Prague en 1931, à Bucarest en 1933, à La Haye en 1936 (« L'Art contemporain français »), ou à Stockholm en 1938 (à la Galerie d'art franco-suédoise). La Galerie Georges Giroux de Bruxelles, qui a inauguré au printemps 1924 un Salon des peintres français où figuraient une dizaine d'œuvres de Marquet, en présente d'autres deux ans plus tard ; le peintre est d'ailleurs associé à la section de peinture de l'Académie royale de Belgique début 1932. Il est également apprécié en Suisse : d'octobre à novembre 1934, le musée d'Art et d'Histoire de Genève consacre une exposition à « Bonnard, Marquet, Roussel et Vuillard » pour laquelle Bernheim-Jeune prête vingt toiles illustrant les voyages de Marquet, et celui-ci se voit remis à l'honneur dans la même ville, seul, début 1937 ; l'année précédente, c'était à Lausanne (galerie Paul Vallotton) et à Zurich (galerie Aktuaryus). En 1939, la Kunsthalle de Bâle lui ouvre ses portes aux côtés de Pierre Laprade et de quelques autres.

L'œuvre de Marquet rayonne même hors d'Europe : il fait partie des artistes français contemporains révélés en 1924 à Tokyo et Osaka ainsi qu'à San Francisco (« French Art » au California Palace of the Legion of Honor). En plus de New York, Chicago (« A Century of Progress ») ou même Buenos Aires, il est exposé plusieurs fois au Carnegie Institute de Pittsburgh et y obtient en décembre 1938 la « Firts Honorable Mention » pour son tableau Le Pont-Neuf, la nuit.

Au même moment la galerie Druet succombe à des difficultés financières et son stock d'œuvres est dispersé à Drouot100.

La guerre et les dernières années (1939-1947)

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, qu'il a passée en Algérie à peindre et aider indirectement la Résistance, Albert Marquet adhère au Parti communiste français et décline certains honneurs officiels.

Drôle de guerre et exode

Marquet et sa femme vivent jusqu'en juin 1940 à cheval entre Paris et La Frette-sur-Seine.

En 1938, lors d'une exposition-vente au profit des réfugiés victimes du nazisme, Marquet avait sympathisé avec le peintre François Desnoyer au point de l'inviter l'été suivant dans sa maison de La Frette : c'est là que les deux couples sont surpris par la déclaration de guerre le 3 septembre 1939. Une nouvelle vie s'organise : quatre jours à Paris, trois jours à La Frette, où Marquet peint souvent avec Desnoyer dans l'atelier privé de chauffage. D'autres viennent le dimanche jouer près du feu aux échecs et aux dominos, ou écouter Marcelle conter des histoires : Manguin, Artigas, les Besson, les Signac, Marko Čelebonović. Rentré en mars 1940 du séjour hivernal à Alger, Marquet reprend ce rythme, d'autant qu'ont lieu entre autres une exposition de ses œuvres au palais de Chaillot et une rétrospective « A. Marquet, peintures, aquarelles, dessins » à la galerie de la revue Beaux-Arts.

Le peintre, qui a signé une affiche de protestation d'artistes et intellectuels contre le nazisme, redoute les représailles après le début de la bataille de France. Munis de bons d'essence et d'un laissez-passer fourni fin mai par l'inspecteur général des beaux-arts Robert Rey, encore en poste, les deux époux partent en juin pour le sud de la France. Au terme d'un voyage compliqué par l'Exode, ils retrouvent des connaissances à Céret (Pierre Brune, Jean Cassou), croisent à Collioure Maillol, Dufy, Cocteau, Arletty, et, fin septembre, embarquent pour Alger.

Marquet a confié son atelier parisien à un oncle de Marcelle ; Desnoyer parvient à soustraire les toiles restées dans la maison de La Frette, réquisitionnée par les Allemands, et Vlaminck en cache une partie.

Retraite forcée à Alger

Pendant ces quatre ans, Marquet peint toujours beaucoup et reste en lien avec ses amis.

Le séjour commence plutôt mal. L'appartement prêté par le père de Marcelle est très exigu — la fenêtre s'ouvrant tout de même sur un vaste panorama. Marquet surtout s'inquiète pour Matisse qui souffre d'une malformation de l'intestin l'obligeant à se faire opérer à Lyon : ils renouent dès lors une correspondance serrée, échangeant avec émotion tout au long de la guerre, non tant sur l'art que sur leur santé et celle leurs amis (Manguin menacé d'amputation pour artérite), les anciens de l'atelier de Gustave Moreau, et ceux qui se compromettent dans la collaboration (Vlaminck, Derain, Friesz). Par ailleurs Marquet est inculpé pour avoir hébergé un jeune aviateur qui prétendait vouloir rejoindre les Forces françaises libres mais s'est avéré être un escroc évadé de prison : la bonne foi des Marquet est vite établie.

En 1941, le frère de Marcelle monte à Alger une exposition des peintures d'Albert, dont le profit permet au couple d'acquérir dans le quartier campagnard de Montplaisant la petite villa « Djenan Sidi Saïdv », avec vue sur la mer et Bab El Oued, grand jardin luxuriant et basse-cour. Les Marquet accompagnent de colis alimentaires leurs lettres à leurs amis métropolitains, et accueillent les gens de passage qui leur sont adressés : André Gide, Henri Bosco, Antoine de Saint-Exupéry, Emmanuel Bove. Fin 1942, après le débarquement allié et l'ancrage d'une flotte que Marquet ne manque pas de peindre, l'appartement plus facile à chauffer qu'il louait sur le port, boulevard Sadi-Carnotw, est réquisitionné : il travaille depuis le second étage d'un hôtel du front de mer avec un ami de jeunesse qu'il vient de retrouver, Armand Assus.

En 1941 Marquet a fait décrocher ses œuvres, prêtées sans son assentiment, du Salon des Tuileries pour lequel était exigé un certificat de « non-appartenance à la race juive ». Durant toute la guerre il refuse d'être exposé à Paris. Fin 1943 il fait partie des artistes algérois offrant des tableaux pour une exposition de soutien à la Résistance, et en janvier 1945 il en donne un pour une vente aux enchères au profit des membres de Combat. Dans la foulée il prend sa carte du PCF, convaincu par George Besson à qui Marcelle a expliqué : « En 34 Albert aurait trouvé « drôle » de s'affilier à un parti et inutile, mais les temps ont changé […] La réformation du monde semble être le parti communiste. Vous connaissez assez Albert pour savoir qu'il n'est pas fait pour les estrades, la vie publique, les manifestations [mais] comme il ne veut décevoir personne et qu'il est ce qu'il est sans remède, il donnerait son adhésion à condition qu'on ne lui demande pas ce pour quoi il n'est pas fait. »

Après-guerre

Resté en Algérie jusqu'en mai 1945, Marquet confie à Matisse qu'il a hâte de retrouver Paris mais regrette de quitter son jardin en fleurs.

Peinture montrant du dessus un grand pont enneigé avec quelques voitures, et autour des bâtiments dans une atmosphère voiléeLe Pont-Neuf sous la neige (date ?, huile sur carton, 60 × 73,5 cm, coll. privée).

« En 1945, se souvient sa femme, après cinq années d'absence, la porte de notre appartement à peine franchie, il se dirigea vers la plus belle fenêtre, celle qui de son atelier domine le Pont-Neuf, et sans prononcer un mot, à pleins yeux, il regarda le fleuve qu'il aimait et les quais dont il connaissait la moindre inflexion. » Le peintre fait rapatrier ses toiles d'Alger et retrouve ses habitudes, entre son appartement parisien, où il peint et se lance dans la lithographie en couleurs, et sa maison de La Frette où reviennent les amis, Charles Camoin le premier. Il est toutefois déçu par le climat politique qui règne en France et Montplaisant lui manque d'autant plus.

Les expositions reprennent à Paris (Salon de la Marine, Salon d'automne) puis à l'étranger. Le Ministre de la Marine lui confère le titre de « peintre honoraire du département de la Marine » (Journal officiel du 1er août 1945)x. Marquet rejette en revanche la perspective d'un fauteuil à l'Académie, proposant que soient plutôt supprimés l'Institut de France et l'École des Beaux-Artsy. De même avait-il déjà plusieurs fois refusé la Légion d'honneur. En janvier 1946 un hommage lui est rendu en présence de nombreux amis par le Comité d'aide aux artistes et intellectuels. Marquet donne des œuvres pour des ventes de bienfaisance en faveur des prisonniers de guerre, des rapatriés dans le besoin, des orphelins juifs rescapés de la déportation119.

Marquet a encore passé à Alger une partie de l'hiver 1946, après quoi il partage son temps entre Paris et La Frette. À la fin de l'année il ressent des douleurs et est opéré le 14 janvier 1947 de la vésicule biliaire : c'est alors qu'on lui découvre un cancer de la prostate déjà métastasé. Rentré chez lui le 29, il réalise encore depuis sa fenêtre huit toiles du Pont-Neuf sous la neige puis, trop fatigué, fait un peu de lithographie. Ses proches s'inquiètent de sa santé et se pressent pour le voir, créant autour de lui, selon la veuve de Jean Launois, « une volière perpétuelle » épuisante.

Albert Marquet, qu'un œdème fait beaucoup souffrir, s'affaiblit doucement. Il reçoit le 15 avril une ultime visite de Matisse, et s'éteint le 14 juin au matin. « Ta dernière soirée, écrit sa veuve le 13 juillet 1947, tu l'as finie en lisant quelques lignes de Balzac. » Elle le fait inhumer au cimetière de La Frette, au-dessus de la Seine qu'il aimait tant.

 

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