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Vendée Militaire et Grand Ouest
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6 septembre 2013

Le cénotaphe de La Moricière

Le cénotaphe de La Moricière

 

Il convient sans doute de rappeler avant tout ce qu'est un cénotaphe : il s'agit d'un monument funéraire, ressemblant à un tombeau mais dans lequel la dépouille du défunt ne repose pas. Un cénotaphe n'abrite donc pas de corps, mais permet d'honorer la mémoire de quelqu'un.

armes_lamoriciere[1]

En effet, le corps du général Juchault de la Moricière repose dans une chapelle à Saint-Philbert de

cenotaphe[1]

Grandlieu, non loin de Nantes, car La Moricière est un lieu-dit situé tout près du village de Saint-Philbert, et c'est là l'origine de la famille dont les armes sont visibles ci-contre. Pour comprendre l'honneur qui lui a été concédé en plaçant un pareil monument à sa gloire dans la Cathédrale, il faut revenir sur son histoire et en particulier sur son implication dans les affaires papales.

 

Biographie

Christophe-Louis-Léon Juchault de la Moricière est né à Nantes en 1806, dans une famille de l'aristocratie bretonne. Suivant la tradition familiale, il intégre après le collège de Nantes l'École Polytechnique, puis l'École d'Application de Metz pour s'y préparer à la carrière militaire. C'est ensuite dans les bataillons de Zouaves en Afrique du Nord (Maroc et Algérie) qu'il s'illustre, puisqu'il y passe 17 années qui voient sa carrière grimper en flèche au fur et à mesure des opérations de conquête et de « pacification » de la région. Sa carrière débute avec la prise d'Alger en 1830, pour être couronnée par la reddition d'Abdelkader en 1847.

lamoriciere02[1]

Certains hagiographes lui prêtent une intrépidité qui n'avait d'égales que son humanité et son action civilisatrice. Toutefois, la réalité historique est nettement moins souriante, puisqu'il est clairement établi que La Moricière, dans la lignée de Bugeaud et d'autres, est aussi responsable pendant cette période de terribles razzias sur les populations locales. Cette approche est d'ailleurs très efficace, et cette indéniable efficacité lui vaut la Légion d'Honneur et de rapides promotions. Quoi qu'il en soit, en ce milieu de XIXè siècle, La Moricière, désormais général de division (dès 1843) et couvert de gloire, rentre en France métropolitaine.

Une carrière politique s'ouvre à lui, il est d'ailleurs député depuis 1846, mais il ne lâche pas les armes tout de suite puisqu'il participe, là encore fort efficacement, à la répression sanglante des journées d'insurrection ouvrière de juin 1848 où il fait tomber bien des barricades.

Malgré des débuts ministériels prometteurs (entre autres dans le gouvernement de Thiers), cette seconde carrière s'interrompt brutalement en décembre 1851, à la suite de l'arrivée au pouvoir de Louis-Napoléon auquel il s'oppose vigoureusement. Il est donc arrêté, comme Thiers, comme les généraux Cavaignac, Changarnier et autres représentants du « Parti de l'ordre » puis envoyé en exil après une période de captivité au fort de Ham. Victor Hugo, autre exilé fameux, racontera d'ailleurs son arrestation dans son livre anti-bonapartiste Histoire d'un Crime en 1877.

Ce n'est qu'en 1857 que la Moricière peut rentrer en France. Peu après, il est poussé par son cousin Mgr de Mérode, Ministre des Armées du Souverain Pontife, à prendre la tête de l'armée papale, Pie IX voyant l'intégrité de ses États Pontificaux fort menacés à la fois par le roi Victor-Emmanuel et par les troupes de Garibaldi.

cenotaphe_ensemble[1]

La Moricière arrive à Rome en 1860 et s'efforce de réorganiser et d'étoffer les maigres troupes pontificales. Malgré ses efforts et son expérience, cette ultime expédition militaire se solde par un échec (à la bataille de Castelfidardo en particulier), qui pousse La Moricière à se retirer définitivement de la vie publique pour se consacrer à des œuvres pieuses jusqu'à sa mort en 1865, en son château de Preuzel près d'Amiens.

On comprend dès lors que c'est pour cette dernière étape de sa carrière, pour son implication auprès du Pape en danger que Rome entend honorer sa mémoire. Aussi fait-on élever un cénotaphe dans le transept nord, grâce à une souscription lancée en 1866 par le général Changarnier, et surtout avec des marbres offerts par Pie IX. À l'inauguration du monument, en 1879, c'est Mgr Dupanloup qui prononce l'éloge funèbre du général, et les fameux zouaves pontificaux envoient une délégation honorer la mémoire de leur ancien chef.

Le Monument

Le cénotaphe est de marbre blanc, un blanc d'autant plus éclatant qu'il est réhaussé par les quatre statues de bronze d'un noir brillant qui l'encadrent. La Moricière est représenté en gisant sur un autel recouvert d'un dais imposant, soutenu par des colonnes et des pilastres alternant le noir et le blanc, et qui donne à l'ensemble un aspect architectural complexe et imposant. C'est l'architecte Boitte qui en conçut le plan, l'exécution en fut confiée à Moisseron d'Angers.

cenotaphe_gisant[1]

Le corps du général est couvert d'un linceul aux plis lourds, majestueux et très travaillés, qui laisse toutefois une assez belle impression de simplicité, de dépouillement dans la mort. Le visage est plus convenu, on y voit un jeune homme vigoureux et aux traits délicats, ce qui peut surprendre un peu, en tous cas il est difficile d'y voir la grandeur de caractère qu'on voudrait honorer ici. Le crucifix qu'il tient de la main droite, l'épée à son côté gauche sont les deux attributs qui, sans surprise, représentent le mieux la vie qu'il vécut. On observe qu'il tient fermement la croix, tandis que sa main touche son arme sans plus la tenir véritablement : la religion est présentée comme un recours devant l'éternité, au contraire de la force des armes. On peut aussi y voir une métaphore de la vie du général.

Plusieurs inscriptions latines ornent les faces du cénotaphe, visant à rappeler qui fut le défunt, ainsi que les vertus qui lui sont prêtées : ainsi des cartouches affichent-ils : « Fides », « Fortitudo » et « Consilium » d'un côté, et « Caritas », « Justitia », « Virtus » de l'autre. Sur chaque extrémité du baldaquin, on peut lire « Optimo viro et clarissimo duci Juchault De La Moricière amici sodales commilitones que hoc monumentum posuere », et au pied de la dalle apparaît un texte plus long qui présente les hauts faits de la vie de La Moricière, d'abord en Afrique bien sûr, mais aussi en 1848, puis lors de sa défense du Saint Siège, et enfin dans ses douleurs personnelles (la mort de deux de ses enfants) pour conclure sur sa mort en 1865 (voir note 1).

Au sommet du dais, là encore à chaque extrémité, des acrotères (voir note 2) arborent les armes des Juchault de la Moricière (au pied) et de Pie IX (au chevet).

filles_lamoriciere[1]

Parmi bien d'autres décorations et ornements, l'un peut retenir l'attention plus particulièrement : il s'agit d'un médaillon de bronze, plaqué sur la table de marbre à la tête du gisant, et qui représente en bas-relief très fin les visages des deux filles du général (voir image ci-contre). Ce détail a quelque chose de touchant par sa simplicité, et par sa discrétion aussi, car il semble qu'on pourrait passer devant le monument de nombreuses fois sans remarquer que ce médaillon, loin des grandes vertus morales et militaires abondamment illustrées par ailleurs, renvoie à un sentiment familial simple et fort.

Les Vertus

cenotaphe_foi[1]

Aux quatre coins du monument, les quatre statues de bronze renvoient elles aussi à des vertus essentielles, que l'on souhaite voir attachées à la mémoire du défunt. Ce sont de belles œuvres, dues cette fois non à Masseron mais au talent de Paul Dubois. Elles sont insérées habilement dans l'ensemble, au moyen de ressauts pratiqués à chaque angle.

cenotaphe_charite_visage[1]

À la tête du cénotaphe, une femme allaitant ses enfants figure la Charité, et un vieil homme plongé dans la méditation de l'étude figure la Sagesse. À l'autre extrémité, la Foi est incarnée par une jeune fille aux mains jointes, à-demi dressée dans un mouvement de ferveur extatique; à sa gauche, un guerrier en armes représente le Courage Militaire. On pense en les voyant à la statuaire italienne, aux maîtres florentins, à Michel-Ange parfois. Dubois a d'ailleurs été considéré en son temps comme l'un des membres du groupe des sculpteurs « Néo-Florentins » du XIXè siècle.

Comparaisons

LouisXII_tombeau[1]

On ne peut s'empêcher non plus la comparaison avec le tombeau de François II de l'autre côté du transept ; toutefois, en-dehors de toute considération esthétique, la structure d'ensemble doit bien davantage à l'école de la Renaissance italienne. On le verra par exemple en pensant au tombeau d'Anne de Bretagne et Louis XII (voir photo ci-contre) qui se trouve dans la basilique Saint-Denis, la nécropole des rois de France : l'organisation en mausolée, les statues assises aux angles, tous ces éléments-clés sont communs aux deux monuments. Le tombeau en question est d'ailleurs dû aux mains italiennes des frères Juste.

Il est plus que probable que le cénotaphe de La Moricière ne bénéficie pas de ce rapprochement avec le chef-d'œuvre qu'est le tombeau de François II ; comment le regarder objectivement, quand des siècles le séparent, quand les intentions sont si différentes et les modèles si peu sur le même pied ? Il est évident, à nos yeux, que les deux monuments n'entrent pas dans la même catégorie. Toutefois, cela ne doit pas faire oublier la grande qualité du travail de Paul Dubois, car ses statues parviennent parfois individuellement, dans une posture, dans une attitude, à exprimer une intensité et une douceur très touchantes.

Pour en savoir plus...

  • L'étonnante histoire des Zouaves Pontificaux, auxquels La Moricière vint prêter main-forte en 1860, peut se retrouver entre autres sur geneaguide.net.
  • Une page fort détaillée, exclusivement à la gloire de la période africaine de La Moricière et d'autres généraux.
  • Une autre page qui propose aussi un regard sur cette même période, mais dont le point de vue est nettement moins positif.
  • Informations complémentaires sur La Moricière et d'autres « grandes familles » dans les Archives Dampierre.
  • Le blason de la famille de La Moricière provient de www.euraldic.com.
  • La photographie du tombeau de Louis XII provient du mini-site de la basilique Saint-Denis.

Notes

Note 1 : Voici la transcription de ce texte :
IN AFRICA, PATRIAE FINES MANV AC CONSILIO AMPLIFICAVIT
FIRMAVIT QVE. GALLIA MŒRENTE, NEFARIOS IN LEGEM REBELLES
STRENVE DIMICAVIT. SANCTA SEDI DERELICTAE VLTIMVM
ATTVLIT PRAESIDIVM. FORTVNAE HAVD IMPAR FORTIOR
IN ADVERSIS. INGENIO INCLYTVS CORDE EXCELSIOR
CRVCIS IN AMPLEXV OBIIT. ANNO. DOM. MDCCCLXV

Et en voici une proposition de traduction, avec l'aide de mon excellent collègue latiniste Ottenhof, merci à lui !
En Afrique, son habileté lui permit d'élargir et de renforcer de son bras les frontières de la patrie. Alors que la France souffrait, au nom du droit il combattit énergiquement les rebelles criminels. Il protégea jusqu'au bout le Saint-Siège, quand tous l'avaient abandonné. Quand le malheur le frappa, il ne fut pas moins courageux. Illustre par son talent, d'une grande noblesse de cœur, il mourut dans l'amour de la croix en l'an de grâce 1865.

 

acrotere_pie9[1]

 Note 2 : Une acrotère (terme d'architecture grecque) désigne un ornement placé au sommet ou aux extrémités d'un fronton. Ci-contre, l'acrotère arbore les armes du pape Pie IX.

 

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